Clausewitz: A Very Short Introduction

Ce petit ouvrage paru dans la collection « A Very Short Introduction » (l’équivalent de nos « Que Sais-Je? » en mieux),  est une introduction à la pensée de Clausewitz. Il est rédigé par Michael Howard, ce qui est un gage de qualité indéniable. Michael Howard est l’un des plus grands historiens militaires britanniques, l’un de ceux avec John Keegan qui ont renouvelé l’histoire militaire: son ouvrage de 1961 sur la guerre Franco-Prussienne de 1870 est ainsi devenu un classique. Michael Howard a fondé le prestigieux département des War Studies du King’s College London, avant d’occuper des postes de professeur à Oxford et à Yale. Parmi ses nombreux autres faits d’armes, il a retraduit Vom Kriege en anglais (en coopération avec Peter Paret), contribuant largement à remettre Clausewitz à la mode, en particulier dans les cercles stratégiques américains. Sa traduction, bien que non exempte de défauts, est aujourd’hui la plus largement employée par les universitaires et les stratégistes anglo-saxons. Il est ainsi très bien placé pour nous offrir cette petite introduction à la pensée du Prussien.

Clausewitz

Howard commence par une courte biographie de Clausewitz, insistant sur l’environnement intellectuel dans lequel il baignait, en particulier autour de Scharnhorst et Gneisenau. Il montre également en quoi l’éducation de Clausewitz et ses goûts intellectuels personnels ont pu façonner son insistance sur certains caractères (tels que les forces morales) ou certains des défauts de son approche tels que l’absence de prise en compte de la stratégie maritime ou des facteurs économiques.

Les trois chapitres suivants abordent chacun un thème central de Vom Kriege. Tout d’abord, une théorie de la guerre est-elle possible? Clausewitz pensait qu’une théorie qui ne prendrait pas en compte l’incertitude de la guerre, la friction, les forces morales et les réactions de l’adversaire est inutile. Il s’élève ainsi contre des auteurs tels que Von Bülow, qui était si obsédé par la logistique qu’il avançait que le secret d’opérations réussies consistait à s’assurer que l’angle formé à l’objectif par des lignes dessinées depuis les bases d’opérations depuis lesquelles opérait l’armée devait être supérieur à 90°. De cette approche mathématique, il tirait toute une série de calculs compliqués devant conduire à la victoire. Clausewitz était également conscient des limites d’une théorie de la guerre: elle doit servir à éduquer le commandant en chef, lui former l’esprit à la réflexion et à l’analyse critique, et non pas être un « livre de recettes » à appliquer. La guerre est-elle ainsi un art ou une science? Selon Clausewitz, cette distinction est faussée: tout art suppose l’application de principes scientifiques, toute science requiert l’exercice du jugement. La guerre doit ainsi être vue comme une activité sociale, et toute théorie doit ainsi prendre en compte la politique.

Le chapitre suivant aborde la question des buts de guerre, des buts dans la guerre, et des moyens: en fait, la question de la stratégie. Howard aborde ainsi la question du Schlacht, de la bataille décisive, qui a attiré tant de critiques à Clausewitz (en particulier, celle de Liddell Hart). Il rappelle que Clausewitz voyait une utilité de la bataille décisive seulement si l’objectif stratégique poursuivi est la destruction des forces armées de l’adversaire. Il se peut que détruire l’armée adverse soit souvent le meilleur moyen d’accomplir ses objectifs politiques, mais ce n’est pas le seul. Mais Clausewitz insiste sur le Schlachtégalement pour rappeler à son lecteur que la guerre est une affaire particulièrement sanglante, loin d’un romantisme guerrier dangereux.

Enfin, Howard étudie les notions de guerre limitée et de guerre absolue chez Clausewitz. Il rappelle la méthodologie Clausewitzienne consistant à construire un idéal-type: la guerre tend à devenir absolue, mais elle est toujours plus ou moins contenue par le politique. De plus, du fait de son caractère, la guerre tend à s’épuiser d’elle-même, les belligérants finissant par se lasser. Howard aborde la question de la possibilité de la guerre absolue à l’ère nucléaire, qui cesse d’être un idéal-type pour devenir une réalité technologiquement pensable. Howard est dans cette partie plus proche des analyses d’Aron (qu’il cite d’ailleurs dans sa bibliographie) que de René Girard.

Le chapitre conclusif s’interroge sur l’héritage de Clausewitz, et montre la réception biaisée de son oeuvre aussi bien chez les Allemands, que les Anglais ou les Français (voir l’excellent ouvrage de Benoît Durieux sur ce point). Le Clausewitz que les Prussiens mettent en avant en 1870 (ce qui a certainement contribué à sa mauvaise presse en France) est une caricature partiale, de même que celui que critiquera Liddell Hart. La pensée complexe du Prussien permet facilement de sélectionner les passages qui semblent conforter les prés-supposés stratégiques des auteurs. Toute réflexion étant ancrée dans son époque, il sera intéressant dans 30 ans de lire comment les futurs stratégistes jugeront nos interprétations contemporaines de Clausewitz.

Ce petit ouvrage remplit donc parfaitement sa mission: être une introduction à une pensée riche et complexe, et constitue donc un guide incontournable pour tout lecteur intéressé par Clausewitz.

Olivier Schmitt

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