Voici un livre passionnant, qui intéressera tous ceux qui étudient la Seconde Guerre Mondiale.
Joe Maiolo, ancien militaire canadien maintenant professeur d’histoire internationale à King’s College London (département des War Studies), étudie la dynamique de course aux armements qui a précédé le déclenchement du second conflit mondial.
Le cœur de l’argument de Maiolo est que la dynamique de course aux armements est devenue en elle-même un facteur qui a conduit à la guerre. Contrairement à une opinion toujours bien ancrée, les dirigeants démocratiques ne se sont pas comportés comme des naïfs cherchant l’apaisement face à des régimes autoritaires qui les auraient perpétuellement bernés. Cette version de l’histoire tend à faire porter le blâme à des individus « coupables » (Daladier, Chamberlain) qui auraient été incapables d’assumer des politiques de fermeté. Au contraire, Maiolo montre comment la dynamique de course aux armements a produit une contrainte structurelle au sein du système international de l’époque qui a conduit à la guerre. Ainsi, il montre de manière convaincante qu’Hitler n’a pas eu la guerre qu’il souhaitait en 1939 (à savoir allié de la Grande-Bretagne contre l’URSS) mais s’est retrouvé allié de l’URSS contre la France et la Grande-Bretagne car il était en train de perdre la course aux armements engagée avec les démocraties et l’URSS, le savait, et s’est donc retrouvé contraint de forcer son destin.
Ainsi, Maiolo aborde l’un des problèmes fondamentaux qui se pose aux historiens et politistes dans l’étude des relations internationales (et qui a occupé beaucoup de débats en théorie des RI): la question de savoir si ce sont les hommes ou la structure qui déterminent le cours des évènements. La réponse de l’auteur est subtile, et il se garde bien d’affirmer que la course aux armements a rendu la guerre inévitable. Au contraire, il rappelle que c’est la volonté d’Hitler d’entrer dans le conflit qui a rendu la guerre possible, mais que les contraintes structurelles posées par la dynamique de course aux armements ont contribué à sa décision. Il est finalement proche de ce que Karl Marx écrivait: « les hommes font leur propre histoire, mais il ne la font pas selon leur volonté; ils ne la font pas selon les circonstances de leur choix mais selon les circonstances existantes, données et transmises par le passé ». En montrant l’enchevêtrement de choix personnels et de contraintes structurelles, Maiolo évite les deux écueils dans lesquels sa démonstration aurait pu tomber: la mono-causalité (expliquer la guerre par la course aux armements) et l’oubli des idéologies de l’époque.
Le livre lui-même retrace les efforts de chacun des protagonistes pour se lancer dans des programmes d’armement, et l’auteur utilise une variété de sources directes (en Anglais, Allemand, Français et Russe) et indirectes dans une succession de chapitres très agréables à lire. Il s’agit réellement d’une histoire internationale puisque l’on voyage de l’URSS au Japon, en passant par l’Allemagne, la France, l’Angleterre, etc. Les politiques d’armement de tous les grands acteurs du conflit sont ainsi étudiées. Maiolo profite ainsi de ce large point de vue pour montrer la similarité des débats concernant le réarmement dans les pays concernés.
Une très belle réussite, pour un livre subtil et complet appelé à être la référence sur le sujet.
Olivier Schmitt