Voici un livre important, qui vient combler un manque dans la vaste production journalistique ou académique sur la guerre en cours en Afghanistan, et devrait être la référence sur le rôle de l’OTAN dans le pays pour un certain temps.
Sten Rynning, professeur de relations internationales à l’Université du Danemark du Sud, est l’un des meilleurs spécialistes mondiaux de l’OTAN, organisation à laquelle il a consacré plusieurs publications. Dans cet ouvrage, Rynning remarque que la littérature dominante sur le conflit en cours s’est principalement attachée à étudier soit la dimension stratégique de la guerre (relations avec le Pakistan, débats sur la contre-insurrection, etc.), soit les actions d’acteurs spécifiques, en particulier les Etats-Unis. Or, le rôle de l’OTAN en tant qu’organisation a fait l’objet de très peu d’études spécifiques, un oubli que l’auteur entend corriger.
Il remarque que trois grandes écoles de pensée abordent la question du rôle de l’OTAN en Afghanistan : certains pensent que l’OTAN est dans son rôle en Afghanistan, et devrait continuer à être un fournisseur global de sécurité ; d’autres pensent que l’Afghanistan signera l’arrêt de mort d’une alliance qui a perdu sa raison d’être, et une troisième école pense que l’OTAN est une organisation viable, mais qui devrait se refocaliser sur ses tâches principales. Rynning confronte ces trois positions à une étude serrée de ce que l’OTAN en tant qu’organisation a effectivement accompli en Afghanistan et de l’adaptation de ses procédures et fonctions. Pour ce faire, il commence par rappeler la nature de l’Alliance atlantique, un « geopolitical patchwork that has been kept together by skillful political management » (p.11). L’alliance ressort à la fois du projet géopolitique (impliquant ainsi la difficulté à gérer des intérêts divergents) et du partage de valeurs libérales. Cet équilibre perpétuel entre valeurs partagées et intérêts parallèles ou concurrents, maintenu depuis plus de soixante ans, constitue le principal fond de commerce de l’alliance et son principal succès.
Un des principaux arguments du livre est que, fondé sur ces valeurs libérales et post-modernes, l’OTAN s’était transformée en « alliance bienveillante », qui a subi un profond choc lors de sa confrontation avec la guerre. Dans les chapitres décrivant le processus de décision conduisant à l’engagement de l’OTAN, il étudie en détails les positions des acteurs concernés et l’argument selon lequel l’Afghanistan a permis de panser les plaies béantes de l’Alliance ouvertes par la guerre en Irak. Il montre à quel point les membres de l’OTAN, aveuglés par la bienveillance, se sont engouffrés en Afghanistan bardés de bonnes intentions mais sans percevoir le terrain et ses difficultés. Les durs combats menés par les Britanniques et les Canadiens dans le sud du pays sont un rappel brutal des réalités de la guerre et, alors que l’Alliance aurait pu se déchirer, Rynning montre comment elle surmonte ces difficultés pour finalement élaborer le début d’une stratégie. L’engagement accru des Etats-Unis à partir de 2009 est évidemment un élément-clef de l’évolution de la stratégie de l’Alliance, mais ce n’est pas le seul : l’auteur avance que les valeurs partagées par les alliés ont permis à l’OTAN de se maintenir. Il conclut en avançant que l’OTAN doit rester fidèle à sa vocation de facilitateur des relations transatlantiques et de gardien de la sécurité européenne, en somme maintenir cet équilibre délicat entre projet géopolitique et valeurs libérales qui fait sa difficulté et sa richesse.
Les sources de l’auteur sont nombreuses, et il a pu conduire de nombreux entretiens avec les principaux acteurs et décideurs, ce qui fait de cet ouvrage une référence incontournable. On peut certainement lui reprocher de rester au niveau des « grandes décisions » par les Etats, et de ne pas s’engager dans une analyse sociologique des interactions quotidiennes entre diplomates et fonctionnaires internationaux à Bruxelles, qui ont une influence sur le processus de décision. Un tel terrain est malheureusement difficile à étudier. De même, il ne détaille pas suffisamment la chaîne de commandement, le rôle prééminent pris par la FIAS au détriment de SHAPE, etc.
Néanmoins, ces menus défauts ne doivent pas détourner d’un livre qui est sans aucun doute ce qui a été écrit de mieux sur le rôle de l’OTAN en Afghanistan et qui fournit une somme considérable d’informations sur le sujet.
Olivier Schmitt