The Art of Coercion. The Primitive Accumulation and Management of Coercive Power

Dans son nouveau livre, le spécialiste du mouvement Taliban Antonio Giustozzi se penche sur le processus de formation étatique, et le rôle joué par les interventions extérieures telles que les missions de « maintien de la paix », d’assistance à la « formation de l’Etat de droit » et de mise en place de structure de « bonne gouvernance ».

Antonio Giustozzi - The Art of Coercion

Giustozzi est légèrement provocateur en titrant son essai « l’art de la coercition », qui est une référence explicite à « l’art de la guerre » de son compatriote Machiavel. Il va encore plus loin en parlant « d’accumulation primitive » du pouvoir coercitif, une formule qui renvoie au concept marxiste d’accumulation primitive du capital.

Giustozzi avance que le processus de formation de l’Etat est violent, et nécessite la victoire par la force d’un groupe social sur ses concurrents. Extrêmement peu d’Etats ont échappé à ce processus d’emploi de la contrainte violente, qui semble inséparable de la constitution d’une unité politique. En soi, la thèse n’est pas neuve et renvoie à de nombreux travaux de sociologie historique de l’Etat, dont les plus célèbres sont ceux de Charles Tilly qui comparait la formation de l’Etat à l’institutionnalisation du crime organisé. Lui aussi insistait sur le caractère violent de la formation de l’Etat, notamment au travers de sa célèbre formule: « state make wars and war makes state ».

Giustozzi va plus loin en insistant sur une seconde phase, la consolidation de l’Etat, qui passe par un apprivoisement de cette violence. L’auteur a le bon goût d’insister sur les rôles différents des forces armées, de gendarmerie et de police dans chacune de ces phases. Il montre comment les réseaux de patronage, ethniques et claniques sont instrumentalisés par les acteurs pour se maintenir au pouvoir, et comment le gestion de la violence est une préoccupation constante du fonctionnement des sociétés politiques.

Les analyses de Giustozzi ont des conséquences importantes pour notre manière de concevoir les interventions militaires et d’assistance humanitaire. Le présupposé courant parmi les décideurs politiques est qu’un Etat fonctionnel et libéral doit émerger d’un compromis politique entre les factions en conflit. Cette vision, qui imprègne bien des missions de maintien de la paix, est inspirée des théories du contrat social qui alimentent la philosophie politique selon la célèbre trinité Hobbes-Locke-Rousseau. Or, cette vision du contrat social est on ne peut plus éloignée des processus sociologiques violents régissant la formation et la consolidation des Etats. Cet oubli du facteur « violence » dans la constitution d’un Etat peut conduire les interventions à des échecs patents. Ainsi, Giustozzi montre bien comment une intervention dans un Etat qui n’est pas encore formé (donc toujours dans le processus d’accumulation primitive de la violence) peut conduire à l’affirmation des groupes les plus radicaux et les plus violents. Évidemment, ces observations vont à l’encontre de l’idéologie libérale qui sous-tend la plupart des missions de maintien de la paix et d’assistance humanitaire.

Ce bref résumé donne seulement un aperçu des nombreuses idées qui parsèment l’ouvrage. L’immense culture historique de l’auteur lui permet de mobiliser de nombreux exemples de processus de formation de l’Etat sur tous les continents. Il évite également les généralisations abusives et est sensible aux contingences. Au final, un excellent livre qui vient enrichir la littérature sur la sociologie historique de l’Etat, et qui permet de repenser l’opportunité d’intervenir dans des conflits. L’oubli ou le déni de la violence ont de graves conséquences.

Olivier Schmitt

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