Ce bref ouvrage se donne pour ambition d’analyser la contribution de Thucydide à la compréhension de la stratégie.
Les auteurs avancent que la célèbre « histoire de la guerre du Péloponnèse » devrait compter parmi les grands classiques de la stratégie, au même titre que les œuvres de Clausewitz ou de Sun Zu, en se livrent donc à une étude du texte de Thucydide, dans une démarche qui n’est pas sans rappeler celle de Pierre Laederich lorsqu’il étudiait la grande stratégie de l’empire romain dans l’œuvre de Tacite.
Pour ce faire, un chapitre introductif classique mais complet définit les notions de grande stratégie et aborde les stratégies particulières (stratégie militaire, stratégie économique, etc.) qui serviront de grille d’analyse. Les chapitres suivants étudient tour à tour la grande stratégie athénienne, puis spartiate, avant de se conclure par quelques réflexions sur l’intemporalité de certains phénomènes stratégiques (course aux armements, dissuasion, etc.).
L’ouvrage est relativement surprenant. L’analyse des grandes stratégies spartiates et athéniennes est excellente, et constitue une excellente histoire stratégique de la guerre du Péloponnèse. Le livre mérite d’être lu seulement pour ces deux chapitres. Il est toutefois surprenant de constater que, pour un livre cherchant à établir Thucydide comme grand penseur stratégique, les auteurs le citent très peu et se basent principalement sur des comptes-rendus bien plus modernes de la guerre (par exemple, celui de Donald Kagan). De plus, ils ont raison d’observer que Thucydide est principalement vu comme un grand historien, et comme l’un des pères de la tradition réaliste en relations internationales (ce qui avait d’ailleurs attiré un article très remarqué en 1994). Ils cherchent donc à se distinguer de la littérature de relations internationales en en faisant un analyste de la grande stratégie… et en citant exclusivement des publications académiques produites par des internationalistes! Il est vrai que dès que l’on aborde la grande stratégie, la réflexion sur la nature et la configuration du système international est incontournable. Les auteurs ne se détachent donc pas autant de la production sur Thucydide qu’ils le prétendent.
Ce faisant, il me semble que les auteurs échouent dans leur tentative de faire de Thucydide l’égal de Clausewitz ou de Sun Zu. Il est indubitable que Thucydide observe, comprend et relate des phénomènes stratégiques, mais il lui manque la capacité d’abstraction qui font de Vom Kriege une œuvre indémodable sur la guerre. En toute honnêteté, ce n’était certainement pas l’intention de Thucydide d’écrire un traité sur la stratégie ou sur la guerre, et il me semble que les auteurs ne lui rendent pas forcément service en cherchant à faire de lui ce qu’il n’est pas.
Il s’agit donc d’un ouvrage à lire en tant qu’histoire stratégique de la guerre du Péloponnèse, mais Thucydide restera plus dans le giron des historiens et des internationalistes que dans celui des stratégistes.
Olivier Schmitt