A High Price. The Triumphs and Failures of Israeli Counterterrorism

Cet excellent ouvrage de synthèse se propose de revenir sur la lutte anti-terroriste conduite par Israël depuis sa création. Dans une large mesure, Israël a été le laboratoire du terrorisme au XX° siècle, de nombreuses tactiques (détournement d’avions, attentats suicides, etc.) ayant d’abord été appliquées contre ses habitants avant de se diffuser internationalement. Daniel Byman propose ainsi d’étudier en détails la manière dont les services israéliens ont géré les multiples menaces auxquelles ils ont du faire face, afin d’essayer d’en tirer des leçons plus générales. Le résultat est un livre équilibré, qui ne cache rien des erreurs israéliennes comme palestiniennes, et risque donc d’énerver à la fois les tenants du Grand Israël et les défenseurs extrémistes de la cause palestinienne, mais mérite d’être lu pour son analyse fine et complète des défis posés par le terrorisme à une société démocratique.

BYMAN

Le plan de l’ouvrage est chrono-thématique. La première partie montre les racines du terrorisme et du contre-terrorisme en Israël, de la création de l’Etat aux accords d’Oslo. Byman montre comment la menace a progressivement évolué, passant d’accrochages avec des Palestiniens expulsés dans la décennie après la guerre de 1948 à la lutte contre des organisations armées bénéficiant de soutiens internationaux importants lorsque Septembre Noir et l’OLP entrent dans le jeu. L’auteur montre ainsi l’erreur stratégique commise par les premiers groupes terroristes palestiniens qui, en s’en prenant à des civils des gouvernements occidentaux alliés d’Israël, ne réussissent qu’à susciter de la sympathie pour l’Etat hébreux. Surtout, influencés par la lutte du FLN contre la France, ces groupes s’imaginent pouvoir reproduire le même modèle, sans comprendre que les Israéliens n’ont pas de métropole dans laquelle rentrer, et que leur volonté de se battre est nécessairement plus importante. Byman ne cache pas non plus la grande difficulté de Tsahal et du Shin Beth à calibrer la violence de leurs réponses, alimentant ainsi le cycle de représailles entre Palestiniens et Israéliens. Surtout, il montre comment Israël a quasiment immédiatement adopté une stratégie systématique de réaction démesurée à la moindre agression, le déploiement de force étant compris comme censé renforcer la dissuasion. Néanmoins, l’erreur israélienne fondamentale a bien été de qualifier de « terroriste » toute attaque contre ses ressortissants civils ou militaires, s’empêchant ainsi de distinguer les actes relevant du terrorisme (assassinat de civils) des actes relevant de la guérilla palestinienne contre les Israéliens (attaques contre des militaires en uniformes). En regroupant tous ces actes sous le même label de « terroriste », Israël s’est empêché de comprendre la portée politique des actions de guérilla. En retour, les groupes palestiniens ont également commis l’erreur de recourir au terrorisme en visant des civils, contribuant ainsi à créer un fossé entre les deux communautés. Byman retrace ainsi les principaux tournants de cette période (Munich, Enttebe…), montrant les innovations tactiques des deux camps et le fossé grandissant entre les deux peuples. Il remarque d’ailleurs que l’un des plus grands succès israélien de la période est de n’avoir jamais eu à craindre la population arabe israélienne qui, bien qu’elle vive dans un Etat juif, lui reste attaché et fournit bien souvent au Shin Beth ses meilleurs réseaux. Il revient enfin le grand tournant que constitue l’opération « Paix en Galilée », au cours de laquelle l’opinion internationale se retourne en faveur de la Palestine, Israël n’atteint pas ses objectifs stratégiques et le Hezbollah émerge comme une menace supplémentaire au nord. La première Intifada, qui éclate en 1988, prend Israël comme les leaders Palestiniens au dépourvu, et la réaction disproportionnée d’Israël, si elle permet un retour relatif au calme, n’est qu’une diversion face à la quantité de problèmes non résolus.

La deuxième partie de l’ouvrage, la plus longue, détaille la lutte d’Israël contre les réseaux terroristes palestiniens dans la bande de Gaza et en Cisjordanie depuis les accords d’Oslo. Byman revient ainsi sur les difficultés initiales du processus de paix, qui déraille dès l’assassinat d’Yitzhak Rabin en 1995 et l’élection de Nétanyahou. Il montre le manque de confiance entre les deux camps, la corruption et l’incapacité de l’Autorité Palestinienne à contrôler ses territoires, le double jeu permanent d’Arafat qui souhaite se maintenir au pouvoir en ménageant les éléments les plus radicaux comme les plus modérés, et l’émergence du Hamas comme nouvel acteur majeur de la scène palestinienne dont l’idéologie islamiste et antisémite tranche avec le terrorisme d’extrême gauche des années 1970. Mais il revient aussi sur les erreurs israéliennes durant cette période, l’intransigeance du Likoud au pouvoir, une politique d’assassinats ciblés (les Israéliens ne faisant pas confiance aux Palestiniens pour lutter contre le terrorisme) qui empêche une réelle coopération et la poursuite de la colonisation qui désespère les Palestiniens. L’élection d’Ehud Barak au poste de Premier Ministre semble apporter un nouvel espoir de coopération, mais celui-ci s’éteint bien vite: Barak est convaincu après le refus d’Arafat de signer les accords de Camp David que le chef de l’Autorité Palestinienne ne veut pas de la paix (Barak avait joué sa crédibilité politique en faisant aux Palestiniens des offres très impopulaires en Israël), et l’attitude d’Arafat au début de la Seconde Intifada le confirme dans cette opinion. Pour beaucoup en Israël, la seconde Intifada est la preuve que la négociation est impossible avec les Palestiniens. Les groupes les plus radicaux comme le Hamas, prenant le retrait d’Israël du sud-Liban en 2000 comme exemple, souhaitent reproduire « l’exploit » du Hezbollah et se convainquent que la lutte armée finira par faire plier l’Etat hébreux. Lorsqu’éclate la Seconde Intifada, la situation est très différente par rapport à 1988. Cette fois, de nombreuses armes sont en circulation chez les Palestiniens, et bien des membres des forces de sécurité palestiniennes, qui la veille encore travaillaient avec leurs collègues israéliens, prennent les armes contre eux. Fidèle à sa tradition de riposte disproportionnée, Israël contient les manifestations par la force, et l’élection d’Ariel Sharon au poste de Premier Ministre renforce les tenants de la ligne dure. La Seconde Intifada va faire au total 1000 morts côté israélien contre 5000 morts chez les Palestiniens, et verra notamment un véritable guerre civile entre le Hamas et l’Autorité Palestinienne, conduisant à l’intervention de 2008 dans la bande de Gaza. Au final, si Israël est certainement coupable d’un emploi disproportionné de la force avant et durant la Seconde Intifada, il y a une large part de vérité lorsque ses dirigeants annoncent ne pas avoir de vrai partenaire pour des négociations de paix. Entre une Autorité Palestinienne au crédit sans cesse diminué parmi sa population (du fait de la médiocrité et de la corruption de ses dirigeants) et un Hamas à l’idéologie antisémite affirmée, la marge de manoeuvre était forcément limitée et les accords d’Oslo enterrés corps et biens.

La troisième partie revient sur le Hezbollah, depuis sa création au Liban jusqu’à la guerre de 2006. L’auteur montre bien les différentes influences étrangères dans la création du mouvement chiite, mais aussi comment celui-ci a su s’organiser en véritable proto-Etat capable de financer des oeuvres sociales et, surtout, une mouvement armé. Les différentes étapes de la lutte contre le groupe chiite sont bien retracées, notamment l’adaptation aux tactiques d’attentats-suicides développées par le Hezbollah, qui seront ensuite adoptées par les autres groupes, dont le Hamas. La guerre de 2006, qui est un échec pour Israël, est vécue des deux côtés comme une bataille dont la revanche sera rejouée très prochainement, en fonction de l’évolution de la situation en Syrie.

Enfin, la quatrième partie revient sur le terrorisme juif. Israël a été fondée en large partie grâce à la lutte contre l’autorité britannique et a donc toujours disposé d’un terrorisme juif qui a du être combattu par les services israéliens. L’auteur montre comment ces derniers ont patiemment et méticuleusement démonté nombre d’attentats contre des Palestiniens ou les autorités israéliennes, mais rappelle que les jugements des tribunaux israéliens ont toujours été systématiquement plus tendres pour le terrorisme juif que pour le terrorisme arabe. Cette partie est frustrante car trop courte: le terrorisme juif est en large partie responsable de l’échec du processus de paix du fait de l’assassinant de Rabin, et les deux chapitres qui lui sont consacrés par l’auteur laissent un peu sur leur faim, surtout si on les compare à la foison de détails fournis dans la seconde et la troisième partie de l’ouvrage.

La cinquième partie tente d’identifier quelques leçons de l’expérience israélienne et avance plusieurs arguments. Tout d’abord, les services israéliens ont été capables de s’adapter rapidement à des formes toujours changeantes de terrorisme, ce qui est en soi un succès. Concernant les interrogatoires, Byman montre qu’Israël est passé d’un usage quasi-systématique de la torture par le Shin Beth jusqu’aux années 1990 à des techniques plus acceptables du point de vue du Droit International Humanitaire, mais que des pratiques condamnables subsistent. Il rappelle aussi que les interrogatoires « coercitifs » sont en général efficaces, et que les autorités israéliennes font le choix très conscient de prêter le flanc à la critique de la Croix-Rouge Internationale pour obtenir des informations leur permettant de neutraliser des réseaux terroristes. Byman étudie aussi deux tactiques développées par Israël: les éliminations ciblées et le mur de séparation, montrant qu’elles ont largement atteint leur objectif de protéger la population israélienne des attentats, mais que le mur empêche une solution politique de plus long terme.

Au final, Byman montre un processus continuel d’adaptation/contre-adaptation entre les groupes terroristes palestiniens et les services israéliens, avec des erreurs stratégiques de la part des deux camps qui ont rendu quasiment impossible toute solution politique. L’ouvrage est ainsi une excellente synthèse du sujet, même si quelques reproches peuvent être faits. En premier lieu, l’auteur ne se livre jamais à une analyse systématique des rapports civilo-militaires en Israël. Dans un pays où la quasi-totalité des dirigeants a servi dans des unités d’élite, certains (comme Sharon, Barak ou Rabin) dirigeant des raids contre des réseaux terroristes palestiniens lors de leur carrière militaire, une étude poussée des liens entre armée et personnel politique est indispensable. De plus, Byman lui-même se rend quelquefois coupable de confondre actes terroristes et actes de guérilla, reprenant ainsi à son compte la rhétorique israélienne. Globalement, cela ne nuit pas à son analyse ou son argumentation, mais dans un sujet aussi sensible, la méticulosité dans l’emploi des mots s’impose. Ces deux reproches ne doivent néanmoins pas détourner les lecteurs d’un ouvrage constituant une référence indispensable sur le sujet.

Olivier Schmitt (Center for War Studies)

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