Can War be Eliminated?

La question de la fin de la guerre est probablement l’une des questions philosophiques les plus discutées, au moins depuis les différentes esquisses de paix perpétuelle élaborées aux XVII° et XVIII° siècles (le livre de Bruno Arcidiacono retrace finement ces évolutions intellectuelles). Christopher Coker, professeur à la LSE, adopte ici une approche différente et pose la question qui fâche: peut-on réellement éliminer la guerre? Est-il réellement possible d’imaginer un monde et une humanité délivrés de « cet acte de violence pour contraindre l’ennemi à exécuter notre volonté »?

cockerDisons-le clairement, la réponse est non. Pour la version plus élaborée, il faudra se pencher sur ce bref mais stimulant ouvrage. L’argument est le suivant. A rebours de bien des argumentaires pacifistes, la guerre n’est pas une mauvaise idée que l’on peut progressivement retirer du répertoire des actions humaines en en montrant les dévastations et les inconvénients: il n’est pas possible de convaincre de l’élimination de la guerre, car ce serait une élimination d’une partie de ce qui constitue notre humanité (en revanche, comme l’a très bien montré Michael Howard, la paix telle que nous la concevons est une invention intellectuelle).

Coker organise son propos en plusieurs thèmes expliquant pourquoi la guerre est une activité fondamentalement humaine, et qu’elle continuera tant qu’existera l’humanité telle que nous la connaissons. En premier lieu, Coker revient sur les acquis de la biologie évolutionniste (en particulier le néo-darwinisme qui domine depuis les années 1990), et montre que comme la religion, la guerre a une fonction évolutive: elle permet d’éviter les conflits intra-groupes en reportant l’agressivité sur les groupes extérieurs, et sert donc à la fois de pacificateur au sein du groupe social tout en procurant un avantage comparatif au groupe dans la compétition pour l’accès aux ressources. Outre qu’elle procure un avantage évolutif aux groupes, la guerre elle-même évolue, et s’adapte donc perpétuellement à l’évolution de l’humanité. Tant que la guerre n’aura pas atteint une impasse évolutionniste (et nous avec), elle sera donc parmi nous. Du fait de son rôle dans l’évolution des sociétés humaines, la guerre en est venu à être une part fondamentale de notre culture, un phénomène observé dans l’ensemble des groupes sur la planète. Depuis l’Iliade jusqu’à Call of Duty, en passant par des millénaires de littérature mondiale et un centenaire de cinéma, la guerre influence et est influencée par les arts, au point qu’elle en est inséparable. Comme nous sommes une espèce fondamentalement culturelle, car sociale, cet imaginaire ne s’effacera pas du jour au lendemain.

Le troisième chapitre aborde le rôle de la technologie, et notamment l’idée que chaque découverte technologique, qui a toujours été perçue au départ comme rendant la guerre obsolète, sert en fait à la nourrir et à l’alimenter (les derniers exemples en date sont la radio, la mitrailleuse automatique, l’aviation et internet). L’histoire de l’humanité est fondamentalement une histoire de la maîtrise technologique afin de se faciliter la vie et d’augmenter la part de temps consacrée au loisir (rappelons que Platon justifiait ainsi l’existence des esclaves: pour permettre aux hommes libres de se consacrer aux arts, à la politique et aux loisirs. Au fond, nous demandons à la technologie de remplir le rôle des esclaves platoniciens). Mais cette évolution technologique a sa propre logique, qui en vient toujours à alimenter les technologies combattantes (sans même parler de l’innovation technologique purement militaire qui trouve ensuite une application civile). Cette dynamiques est d’autant plus forte aujourd’hui que les évolutions technologiques sont en phase avec les évolutions des sociétés: nous voulons toujours plus de contrôle sur nos vies, et les technologies permettent exactement ceci en rationalisant au maximum l’acte de tuer. Coker reprend ici l’argument de son dernier livre.

L’auteur rappelle également que l’Etat, constamment réinventé (et qui passe du statut d’Etat-nation à Etat-gestionnaire), restera pour longtemps la forme politique principale du système international, et que les mécanismes de rivalités géopolitiques traditionnels continueront donc longtemps de s’appliquer. Ceci, d’autant plus que nous disposons de ce que Coker appelle des « discours géopolitiques », c’est-à-dire les discours des entités politiques sur elles-mêmes, qui continueront d’exister et de justifier des rivalités. Il est vrai que ces discours sont des constructions sociales, mais reconnaître ce fait ne signifie pas que l’on puisse impunément les « déconstruire ». Enfin, en tant que groupes politiques, nous avons des idées de la justice (et, d’une manière générale, de la morale), qui nous permettent de maintenir la cohésion au sein de nos sociétés, mais qui sont tout sauf universelles. L’affrontement perpétuel de groupes pensant être dans leur bon droit est et restera une constante de l’humanité.

Cet ouvrage est donc une synthèse, il faut bien le dire impressionnante, d’un ensemble de disciplines et de courants d’analyse liés à l’étude de la guerre (anthropologie, relations internationales, psychologie, sociologie des sciences, etc.). Le lectorat visé étant le grand public, Coker réussit à résumer ces littératures de manière très simple et didactique. Malheureusement, son style est toujours aussi lourd et ses connections logiques parfois difficiles à faire, mais globalement l’ouvrage se lit facilement: il s’agit donc d’une excellente vulgarisation, d’autant plus que l’auteur a la judicieuse idée d’offrir une bibliographie commentée pour les lecteurs souhaitant développer tel ou tel aspect. Au-delà de la mise à disposition des derniers résultats de plusieurs disciplines (ce qui est déjà très louable), Coker réussit à bâtir un argument cohérent, à la logique interne impeccable et basé sur les dernières avancées scientifiques, montrant pourquoi la guerre continuera d’exister dans le futur. La conclusion peut déplaire, mais l’ouvrage a ainsi un grand mérite: tous les auteurs traitant de l’établissement d’une paix universelle seront obligés de trouver de meilleurs arguments que ceux avancés dans ce livre. Si nous espérons qu’ils réussissent, on leur souhaite bien du courage.

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