Voici un ouvrage utile, qui doit figurer en bonne place dans la bibliothèque de toute personne intéressée par la guerre et ses mutations contemporaines. Issu du programme de recherche Changing Character of War basé à l’Université d’Oxford, ce livre collectif tente de mettre en perspective historique, politique et sociologique les changements contemporains du caractère de la guerre (et non pas de sa nature, étant fidèle à la distinction clausewitzienne). Il en résulte un travail quasi-exhaustif particulièrement intéressant.
L’ouvrage se divise en cinq grandes parties. En premier lieu, la perspective historique est adoptée, et les différents chapitres permettent de revenir sur la notion de « modèle occidental de la guerre » (invalidée par les travaux d’historiens sérieux) et de « nouvelles guerres » (une erreur conceptuelle majeure), mais aussi sur des moments historiques particuliers tels que les guerres révolutionnaires, l’invention de la bombe atomique ou encore les mutations du terrorisme. A chaque fois, l’objectif est d’identifier les aspects saillants du caractère de la guerre à une époque afin d’étudier les mutations et évolutions de ceux-ci.
La deuxième partie, fascinante, revient sur les nouvelles motivations pour rentrer en guerre, et étudie tour à tour les interventions humanitaires, les motivations religieuses, les guerres civiles ou la criminalisation de certains territoires. Logiquement, cette partie est suivie par une analyse de la nouvelle identité des combattants, et des non combattants: entreprises privées, enfants, robots, seigneurs de guerre, insurgés, évolution du statut des détenus, etc. Enfin, la dernière partie analyse les idées et concepts nécessaires à la compréhension de la guerre: culture stratégique, morale, et évolution de la pensée stratégique.
Au final, l’ouvrage est une véritable réussite puisqu’il permet d’identifier de manière très précise les continuités et les ruptures dans le caractère de la guerre, et offre une synthèse particulièrement utile d’un nombre important de sujets. Rédigés par les meilleurs spécialistes internationaux (Hew Strachan, Pascal Vennesson, Bruce Hoffman, Peter Singer, Antulio Echevarria, Azar Gat, Mats Berdal, Stathis Kalyvas, William Reno, etc.), les chapitres sont suffisamment courts pour forcer les auteurs à la concision, et donc à la mise en avant de leur argument. La lecture n’en est donc que plus agréable et montre, dans la plus pure tradition britannique des War Studies, l’utilité de faire coopérer politistes, historiens, sociologues, juristes, philosophes (et autres disciplines) pour tenter de comprendre cet objet protéiforme qu’est la guerre. Certes, on peut regretter quelques manques, comme l’absence de chapitre sur le cyber ou d’une analyse des liens entre mutation du système international et mutation de la guerre, mais ce ne sont que des détails qui ne doivent pas détourner de l’outil de travail indispensable que constitue cet ouvrage.
Olivier Schmitt (Center for War Studies)