Dans ce bref ouvrage, le jeune diplomate américain Yaniv Barzilai livre la première synthèse des « 102 jours de guerre » qui se sont écoulés entre les attentats du 11 septembre 2001 et la chute du régime Taliban à Kaboul.
Les suites de l’attentat du 11 septembre sur le processus de décision américain ont déjà été décrits dans plusieurs ouvrages, dont ceux de l’inépuisable Bob Woodward et les mémoires de nombreux dirigeants et exécutants ont été publiées, dont celles de Georges W. Bush, Condoleeza Rice, Douglas Feith, Colin Powell ou Tommy Franks (l’ancien commandant du CENTCOM). Néanmoins, il manquait encore un ouvrage résumant cette littérature, et c’est désormais chose faite avec cette très solide synthèse.
L’auteur se base sur les multiples sources ouvertes disponibles à ce jour, quelques archives déclassifiées et des entretiens avec d’anciens dirigeants. Le résultat est intéressant, puisqu’il restitue bien la fébrilité des premiers jours suivant le 11 septembre, la difficulté du Pentagone à élaborer un plan d’action sous la pression de Rumsfeld et la rivalité entre la CIA et les militaires, ou encore la mauvaise collaboration entre Tommy Franks et les Chief of Staffs qui a contribué à une relative inertie de l’appareil militaire américain dans les premières semaines. L’ouvrage alterne habilement entre négociations politico-militaires à Washington et insertion sur le terrain, puisque l’on suit les premières équipes de la CIA infiltrées auprès de l’Alliance du Nord ou l’équipe de forces spéciales commandées par Dalton Fury lors de la bataille de Tora Bora qui vit l’évasion de Ben Laden vers le Pakistan voisin. La division des chapitres en « tranches » d’une quinzaine de jours à chaque fois rend la lecture fluide et agréable.
L’ouvrage a une thèse principale: la disparition de Ben Laden est liée à l’incapacité des dirigeants américains à hiérarchiser entre la destruction des Talibans et l’élimination d’Al-Qaïda. Les objectifs stratégiques définis par le Président Bush ont constamment varié durant ces 102 jours, laissant en pratique le Pentagone improviser une campagne à partir de directions stratégiques beaucoup trop vagues. Couplé à la volonté de Donald Rumsfeld de garder une « empreinte légère », le Pentagone a été contraint de limiter son rôle initial à un appui aérien et de forces spéciales à l’Alliance du Nord, érigeantde facto le renversement du gouvernement taliban en objectif prioritaire, la destruction d’Al-Qaïda se transformant contrainte et forcée en « neutralisation ». Ce manque de direction stratégique explique la fuite de Ben Laden à Tora Bora, puisque les contraintes en termes « d’empreinte légère » empêchèrent les commandants américains de déployer suffisamment de troupes afin de boucler la frontière avec le Pakistan et les forcèrent à s’appuyer sur des troupes locales peu fiables.
Si la narration des « 102 jours » est intéressante, on est néanmoins déçus que l’auteur ne se consacre pas à une étude de la conférence de Bonn, qui établit Hamid Karzaï comme dirigeant de l’Afghanistan et commet l’erreur d’exclure les Talibans d’un accord de partage du pouvoir, ou de la mise en place de la FIAS, initialement dirigée par les Européens avant que l’OTAN en reprenne le commandement en 2003. De même, l’ouvrage souffre de ses sources: s’il constitue une excellente synthèse, il n’apporte aucun élément factuel neuf, et on cherche en vain un détail original dans les entretiens retranscrits par l’auteur. Il s’agit donc d’une synthèse analytique très utile de la littérature existante sur les débuts de la plus longue guerre des Etats-Unis, qui n’apprendra pas grand-chose de neuf à ceux ayant déjà travaillé sur l’intervention en Afghanistan à partir de sources multiples, mais constitue un outil de travail bien pratique.
Olivier Schmitt (Center for War Studies)