1989. The Struggle to Create Post-Cold War Europe

De nombreux ouvrages se sont penchés sur le contexte politique international ayant conduit à l’unification allemande, mais il y a de grandes chances pour que celui de Mary Sarotte devienne la référence. Scientifiquement, l’ouvrage est le produit d’un travail archivistique impressionnant en France, Allemagne, Russie, Royaume-Uni et Etats-Unis, complété par une série d’entretiens. Le résultat est agréable à lire, prenant, et l’auteure réussit le tour de force de rendre clairs les enjeux importants des négociations tout en humanisant les principaux acteurs et en rendant bien compte de l’atmosphère propre à l’activité diplomatique.

1989

Conceptuellement, l’ouvrage de Sarotte est l’un des seuls à prendre 1989 non pas comme un moment de fin de cycle dans les relations internationales, mais comme un nouveau départ. L’auteure passe très rapidement sur les causes et les dynamiques des révolutions de 1989, mais ce n’est pas son objet. Elle propose en revanche des contributions importantes à certains débats sur la fin de la Guerre Froide, montrant que l’ouverture du mur de Berlin relevait de l’accident (Sarotte a depuis écrit un autre livredétaillant quasiment minute par minute les évènements ayant conduit à l’ouverture du mur), que les Etats-Unis n’étaient pas la puissance dominante guidant l’orientation politique de la période, et que les changements de 1989-1990 ont des conséquences durables pour l’Europe et les relations transatlantiques.

Après un retour sur l’ouverture du mur dans le premier chapitre, Sarotte se concentre principalement sur les débats concernant l’établissement d’une nouvelle architecture de sécurité européenne après la fin de la Guerre Froide. Elle se livre à une comparaison utilisant le vocabulaire de l’architecture, montrant les quatre options qui seront tour à tour examinées par les principaux décideurs de la période: le modèle de la « restauration » initialement préféré par les Soviétiques et consistant en un retour à la gestion quadripartite de la question allemande par les puissances ayant remporté la Seconde Guerre mondiale; le modèle « revivaliste », initialement préféré par Kohl, consistant à réadapter l’idée d’une confédération d’Etats allemands qui datait du XIXe siècle (« deux Etats,une nation »); le modèle « héroïque » ensuite proposé par Gorbatchev consistant à bâtir une structure de sécurité européenne intégralement nouvelle; et le modèle du « préfabriqué » consistant à prendre les institutions économiques et de sécurité occidentales, et à les étendre à l’Est.

Sarotte explique en détails pourquoi le modèle du « préfabriqué » en vint à obtenir la préférence des dirigeants occidentaux au milieu des années 1990, notamment car il avait l’avantage d’être facile et rapide à mettre en place (ce que Kohl, pris dans un cycle électoral, jugeait important) et qu’il permettait une stabilisation rapide du continent. Selon Sarotte, ce modèle avait des avantages mais n’était pas idéal, car il a conduit a des tensions continues en Europe. Elle avance ainsi que la piètre qualité des relations actuelle avec la Russie est la conséquence, au moins indirecte, des choix faits en 1989-1990 lorsqu’une opportunité de coopération a été perdue. L’un des fils rouges de l’ouvrage est ainsi des petites vignettes régulières sur un agent du KGB posté à Dresde, Vladimir Poutine, et sa perception des évènements en cours (notamment les manifestations en faveur de l’unité à Dresde et Berlin-Est; la quasi-dissolution de la Stasi du jour au lendemain laissant le KGB sans interlocuteur, ou la question du stationnement des troupes soviétiques en RDA). Dans une postface à la nouvelle édition, Sarotte évoque aussi la question difficile de la « promesse » qui aurait été faite à Gorbachev de ne pas étendre l’OTAN, et montre que cette extension à l’Est faisait partie des plans des Occidentaux dès les négociations de 1990, que ceux-ci réussirent à exclure la question des accords écrits et signés, mais aussi que les négociateurs occidentaux avaient été suffisamment ambigus pour que Gorbatchev puisse effectivement penser que l’OTAN ne s’étendrait pas. En somme, les diplomates occidentaux ont été plus subtils que les Soviétiques en excluant la question de l’extension de l’OTAN des accords signés et faisant foi, mais les conséquences de cette subtilité diplomatique se font aujourd’hui sentir dans les relations avec la Russie, où le sentiment de trahison et d’humiliation est vif.

Sarotte excelle à montrer le degré d’impréparation des chancelleries à l’ouverture du mur, et le sentiment d’urgence permanente dans la préparation de négociations dont dépendaient l’avenir de la sécurité européenne. Elle donne ainsi toute sa place à la contingence lors des moments de crise, où les acteurs n’ont que peu de repères auxquels se raccrocher, et ont donc des opportunités exceptionnelles d’influencer le cours de l’histoire. En particulier, elle montre de manière convaincante comment les cursus des principaux acteurs (en particulier leur expérience de la Seconde Guerre Mondiale) ont influencé leurs perceptions de la réunification allemande. Sarotte avance que les principales initiatives vinrent des Européens, en particulier de Kohl, corrigeant ainsi la perception d’un accord entre Américains et Soviétiques pour régler la question allemande trop souvent présente dans la littérature anglo-saxonne. Elle ne néglige pas non plus les acteurs de la société civile, montrant par exemple leur influence sur la décision de Kohl de choisir l’unité allemande comme but à atteindre.

Au final, un superbe ouvrage, à la lecture à la fois aisée et enrichissante, qui démontre qu’en dépit des difficultés propres à l’écriture de l’histoire contemporaine (en particulier l’accès aux sources), un travail novateur et important est possible.

Olivier Schmitt (Center for War Studies)

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