Anti-Access Warfare. Countering A2/AD Strategies

Le fameux pivot américain vers l’Asie et le concept d’Airsea Battle ont mis le concept de déni d’accès à la mode dans le débat stratégique américain. Dans cet ouvrage, Sam J. Tangredi, ancien officier de la marine américaine désormais consultant revient sur l’origine du concept en en tirant toutes les conséquences stratégiques. Au final, il livre une synthèse utile et pertinente, qui en fait un ouvrage de référence sur le sujet.

a2

Tangredi part du principe que contrairement à ce que les enthousiastes du label A2/AD pourraient penser, le déni d’accès est un concept ancien, et illustre son argument par la guerre des Grecs contre les Perses en 480 av JC (et la fameuse victoire de la marine grecque commandée par Thémistocle à Salamine) et la guerre du Golfe de 1991, qui est l’illustration des conséquences de l’absence d’une stratégie d’anti-accès de la part de Saddam Hussein (et qui initia d’ailleurs les réflexions chinoises sur le sujet). De l’étude de ces campagnes, Tangredi découle cinq éléments qui caractérisent les stratégies d’anti-accès: l’influence de la perception de la supériorité stratégique de la force attaquante par le défenseur, l’importance de la géographie, la prédominance de l’élément maritime, l’importance du renseignement et l’aspect déterminant des évènements « externes » (par exemple le soulèvement de certaines populations sur le territoire du défenseur).

Ces cinq éléments forment un modèle de stratégies A2/AD utilisé par l’auteur pour discuter une série d’exemples historiques et modernes de stratégies d’anti-accès, après un rappel très intéressant de la manière dont le concept a émergé dans l’appareil de défense américain et a été plus ou moins intégré dans la doctrine. Il illustre ici les liens entre think-tanks et armée, et l’importance de certains acteurs comme Andrew Krepinevich. Sont examinés trois succès (l’Armada espagnole en 1588, les Dardanelles en 1915 et la bataille d’Angleterre en 1940) et trois échecs (la défense de l’Europe par les nazis en 1944, la stratégie japonaise dans le Pacifique entre 1942 et 1945 et la tentative de l’Argentine de défendre les Falklands en 1982). En toute rigueur, Tangredi devrait justifier pourquoi ces six cas sont choisis pour être étudiés en détails (il prête ainsi le flanc à l’accusation de biais de sélection). L’analyse reste néanmoins convaincante et intéressante, d’autant qu’elle se poursuit par une étude détaillée de trois cas contemporains: les stratégies chinoises, iraniennes et nord-coréennes, ainsi que les possibles réponses à apporter.

L’avantage du livre de Tangredi est qu’il ne cède pas à la panique ou au déterminisme technologique (non, les missiles balistiques anti-navires ne révolutionnent pas la guerre), et qu’il remet les stratégies d’anti-accès dans un contexte stratégique plus large: il insiste justement sur le contexte politique (par exemple les troubles internes de l’Etat défenseur qui peuvent être exploités) et rappelle que remporter une campagne d’A2/AD n’est qu’une étape pour l’attaquant et n’est pas une fin en soi. En effet, elle doit être suivie d’une campagne terrestre en bonne et due forme, et il faut donc se poser la question du pourquoi et du comment d’une telle invasion, un aspect paradoxalement peu évoqué dans la plupart des documents évoquant l’anti-accès.

Il livre ainsi plusieurs éléments de réflexion intéressants, insistant sur l’importance de la grande stratégie, d’une approche inter-armées efficace (et non pas inter-armées pour le principe), de cibler les capteurs adverses avant de cibler ses munitions, de se préparer à une campagne comportant un degré important d’attrition (donc de prévoir une redondance des matériels et des capacités) ou discutant de l’opportunité des options de sea-basing.

Un ouvrage véritablement intéressant, qui contribue à la réflexion stratégique, et qui mérite également d’être lu par les planificateurs français, au cas où nous aurions un jour à intervenir dans une campagne d’anti-accès en mer de Chine méridionale ou dans le détroit d’Ormuz aux côtés de nos alliés.

Olivier Schmitt (Center for War Studies)

Votre commentaire

Entrez vos coordonnées ci-dessous ou cliquez sur une icône pour vous connecter:

Logo WordPress.com

Vous commentez à l’aide de votre compte WordPress.com. Déconnexion /  Changer )

Image Twitter

Vous commentez à l’aide de votre compte Twitter. Déconnexion /  Changer )

Photo Facebook

Vous commentez à l’aide de votre compte Facebook. Déconnexion /  Changer )

Connexion à %s