Germany and the Bundeswehr’s Deployment to Afghanistan

Dans cet ouvrage, tiré de sa thèse soutenue à l’Université de la Bundeswehr de Munich, Carolin Hilpert aborde de front un problème théorique qui a été pensé, mais pas encore analysé systématiquement par les chercheurs travaillant sur la notion de culture stratégique, à savoir le changement de celle-ci. Pour ce faire, elle se livre à une étude minutieuse de l’engagement de la Bundeswehr en Afghanistan, montrant comment celui-ci a entraîné un changement de la culture stratégique allemande.

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La notion de culture stratégique, qui dispose d’une déjà longue histoire conceptuelle depuis les premiers travaux de Jack Snyder (pour un historique de la notion, voir le chapitre qui je lui ai consacré –full disclosure– dans ce livre), étudie la manière dont les sociétés font la guerre en fonction de leurs préférences culturelles. Mais, comme toutes les approches culturalistes, elle risque la réification des facteurs culturels (en en faisant la seule explication du comportement), et de réduire les acteurs à des « dupes culturels », répliquant infiniment des schémas pré-établis. Évidemment, les travaux les plus récents évitent ce piège, notamment en considérant la culture comme un milieu, ou comme un ensemble de ressources que les décideurs peuvent manipuler en fonction de leurs préférences (et Hilpert a la gentillesse de citer mon article sur le sujet), mais la question de la théorisation du changement de la culture stratégique a été sous-théorisée. Hilpert étudie ainsi plusieurs facteurs, comme l’évolution d’une menace, l’influence socialisatrice d’institutions multinationales, les changements de contexte politique ou encore les moyens militaires disponibles. Ce faisant, elle étudie également la conduite des opérations militaires, qui est souvent un angle mort de l’analyse des cultures stratégiques, qui se fonde bien souvent seulement sur la décision politique elle-même.

La partie empirique est extrêmement riche et revient sur l’engagement de la Bundeswehr en Afghanistan depuis 2001, la manière dont la mission a été présentée comme positive et similaire aux opérations de paix dans les Balkans en opposition à la « mauvaise » et « dangereuse » operation enduring freedom par les responsables politiques allemands pendant des années, avant que le discours n’explose du fait de la dégradation sécuritaire dans le nord. Elle retrace la manière dont des mots oubliés du lexique allemand reviennent sur le devant de la scène (utilisation du termes gefallen pour désigner les soldats tombés au combat, plus utilisé depuis 1945; parler de krieg -guerre- au lieu de kampfeinsatz -mission de combat-, etc.), et le changement symbolique apporté par des initiatives telles que la réhabilitation de la croix de fer en tant que décoration militaire. Mais elle ne reste pas piégée par une analyse seulement discursive, et montre également l’effet positif de la pression vécue par l’Allemagne au sein de l’OTAN pour diminuer ses caveats (montrant ainsi comment une organisation multinationale peut positivement influencer une culture militaire), mais aussi de la pression de la troupe, qui réclame des conditions d’entraînement cohérentes avec le théâtre, et qui contribue ainsi à faire voler en éclat le mythe d’une opération de paix. Enfin, elle étudie l’impact des transformations des structures de la Bundeswehr sur sa capacité à générer une force de combat suffisante: son analyse du changement de la culture stratégique prend donc justement en compte les facteurs matériels et idéationnels. Elle montre aussi les limites d’un tel changement, en discutant les non-interventions allemandes en Libye et au Mali.

Avec un travail empirique étalé sur près de 12 ans, certains choix doivent être faits. On regrette ainsi que l’auteure ne passe pas plus de temps à étudier le comportement tactique des unités de la Bundeswehr,qui montre également une véritable adaptation de la culture stratégique, passant d’une sur-valorisation de combat de cavalerie blindée à un retour de la considération pour le combat d’infanterie. Le comportement tactique des troupes allemandes entre l’opération Harekate Yolo de 2007 et les combats de 2011-2012 n’a (presque) plus rien à voir. Une analyse du comportement tactique des unités aurait aussi été très intéressante et aurait utilement contribué à l’ouvrage.

Au final, Hilpert aide à notre compréhension de la manière dont une culture stratégique évolue et, grâce à un travail empirique riche et fourni, livre un ouvrage qui intéressera ceux travaillant sur la notion de culture stratégique, l’Allemagne et la campagne de l’OTAN en Afghanistan.

Olivier Schmitt (Center for War Studies)

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