Ancien ambassadeur devenu professeur d’affaires internationales après une longue carrière dans le service diplomatique américain, Dennis Jett explique en détail dans cet ouvrage le système de sélection et de nomination des ambassadeurs aux États-Unis. Selon Jett, « aucun autre pays majeur ne choisit sa plus haute représentation diplomatique comme le fait Washington » (p.9), en réservant environ un tiers de ses postes d’ambassadeurs à des individus n’ayant pas fait carrière dans le service extérieur. À travers un exposé du processus de nomination et des facteurs en cause dans la sélection de différents types de candidats aux postes ambassadoriaux, l’auteur montre en quoi ce taux relativement élevé de nominations politiques pose problème pour l’efficacité de la diplomatie américaine et fait quelques recommandations pour améliorer le processus de nomination.
Le premier chapitre retrace l’histoire du titre d’ambassadeur dans la diplomatie américaine. Longtemps considéré comme incompatible avec les valeurs égalitaires de la nouvelle république, le titre n’a été conféré pour une première fois à un représentant des Etats-Unis à l’étranger qu’en 1893[i]. À cette époque et de façon prédominante jusque vers les années 1930, la plupart des personnes nommées ambassadeurs l’étaient en vertu de nominations politiques; autrement dit, ces personnes n’étaient pas des diplomates de carrière. Suite à la création, en 1924, du Service extérieur américain en tant que corps diplomatique permanent (avec entrée et promotion basées sur le mérite), la proportion d’ambassadeurs de carrière a augmenté progressivement jusqu’à atteindre près de 70% de l’ensemble des ambassadeurs dans les années 1950. Cette proportion est demeurée assez constante jusqu’à aujourd’hui, environ un tiers des postes d’ambassadeurs continuant à être offerts sur la base de nominations politiques.
Dans les chapitres 2 et 3, l’auteur décrit en détail les deux « routes » pouvant mener au titre d’ambassadeur. La première voie – que Jett identifie comme la « route traditionnelle » bien qu’elle soit plus récente dans l’histoire de la diplomatie américaine – implique de gravir les échelons pendant au moins 20 ans dans le Service extérieur, lequel compte aujourd’hui quelque 8000 diplomates. Jett, qui a lui-même l’expérience de ce cheminement, souligne que l’entrée dans le Service et l’accession aux rangs seniors de celui-ci sont des épreuves très exigeantes, non seulement sur le plan professionnel, mais également aux niveaux personnel et familial, la majorité de la carrière devant être passée à l’étranger, avec des rotations d’un pays à l’autre aux trois ans ou moins, et souvent dans des endroits présentant des dangers pour la sécurité. Ceux qui, après environ 20 ans de service, parviennent à être promus dans les rangs seniors n’ont pas pour autant une garantie de devenir ambassadeur, le nombre de postes ambassadoriaux étant beaucoup plus limité que le nombre d’agents seniors. Jett explique ensuite les divers facteurs – plusieurs d’entre eux informels – favorisant les chances, pour un diplomate de carrière, d’être nommé ambassadeur. Les facteurs les plus importants incluent : la spécialisation dans la « branche » politique du Service (plutôt que les autres spécialisations : affaires économiques, diplomatie publique, management et affaires consulaires); la performance et la « réputation de corridor »; les connexions avec les hauts fonctionnaires du Département d’État; l’expérience dans la région concernée; la maîtrise de la langue; la chance et le « timing ».
La seconde voie d’accès au titre d’ambassadeur (« the nontraditional route », dans les mots de l’auteur) est, telle qu’indiquée précédemment, celle des individus n’ayant pas fait carrière au sein du Service extérieur. Bien que la compétence et l’expérience de ces personnes puissent compter parmi les facteurs en cause dans leur nomination, Jett soutient que c’est le plus souvent grâce à une relation politique, économique ou personnelle avec le président au pouvoir que ces personnes deviennent ambassadeurs. Ainsi, le type de personnalités pouvant devenir ambassadeurs par l’entremise de cette voie inclut des alliés politiques de longue date du président, des membres de son personnel de campagne électorale, des amis personnels de celui-ci, mais aussi de généreux contributeurs financiers à sa campagne présidentielle. Jett explique que la campagne présidentielle moderne est devenue une entreprise extrêmement coûteuse (surpassant le milliard de dollards pour le président Obama et le Gouverneur Romney respectivement aux élections de 2012), ce qui favorise un quid pro quo implicite où les plus importants donateurs financiers se voient offrir un poste d’ambassadeur en guise de récompense pour leur effort partisan. Puisqu’il s’agit de récompenser des alliés du président, ces derniers tendent à être nommés ambassadeurs dans les pays les plus riches et les plus « confortables » en termes de qualité de vie. L’auteur montre que depuis 1960, 72,6% des ambassadeurs en Europe de l’Ouest et dans les Caraïbes ont été des ambassadeurs politiques (p.147). Les postes d’ambassadeurs auprès d’organisations internationales tendent également à être occupés par des ambassadeurs politiques. Les ambassadeurs de carrière, pour leur part, comblent la plupart des postes de chefs de mission en Afrique, en Asie, en Amérique du Sud et au Moyen-Orient.
Jett reconnaît que l’un des facteurs contribuant à la nomination d’ambassadeurs non issus d’une carrière diplomatique est la difficulté à définir précisément les qualifications essentielles pour réussir comme ambassadeur. Il est certainement important pour un ambassadeur de bien connaître la langue, la culture et l’histoire du pays dans lequel il est nommé, mais Jett indique que cela n’est pas suffisant, ni même absolument nécessaire dans tous les cas. La personnalité et les habiletés de gestion seraient plus déterminants comme facteurs de succès. Ainsi, l’absence d’expérience dans le milieu de la diplomatie et des affaires internationales ne garantit pas un échec comme ambassadeur et, à l’inverse, une carrière dans le service diplomatique ne garantit le succès dans cette fonction. Néanmoins, Jett suggère, à partir d’une analyse statistique de la performance des ambassadeurs telle qu’évaluée dans les rapports d’inspection de 139 ambassades américaines, que la performance des ambassadeurs politiques est moins prévisible, étant plus susceptible d’être soit bonne, soit mauvaise, alors que la performance des ambassadeurs de carrière tend à se retrouver davantage dans la moyenne. L’auteur donne de nombreux exemples (tirés de ces rapports notamment) de mauvaise gestion et d’incompétence de la part d’ambassadeurs politiques.
S’il ne croit pas qu’il faille proscrire toute nomination ambassadoriale puisant hors des rangs du Service extérieur (ni même toute nomination parmi les donateurs majeurs aux campagnes présidentielles), Jett suggère néanmoins que le nombre de nominations politiques devrait être réduit. Il soutient également que le processus actuel de sélection des ambassadeurs, s’il est difficilement modifiable en profondeur, peut être amélioré d’au moins trois façons, soit par une plus grande transparence des contributions financières aux campagnes présidentielles, un plus grand intérêt des membres du Congrès dans le processus de nomination des ambassadeurs, et la mise en place d’évaluations supplémentaires de la performance de ces derniers.
Le point fort de l’ouvrage réside sans conteste dans la richesse des données empiriques qu’on y trouve, données qui sont tirées d’une variété de sources primaires. Aucun autre ouvrage (voire aucune autre source publiquement accessible) ne fournit, à ma connaissance, une description aussi détaillée du processus bureaucratique et des facteurs en cause dans la sélection et la nomination des ambassadeurs au sein des diverses institutions impliquées, soit le Département d’État, la Maison-Blanche et le Congrès. L’auteur révèle plusieurs aspects méconnus (et parfois surprenants) du mode de fonctionnement de la diplomatie américaine, tels que le fait les ambassadeurs politiques dans les grandes capitales européennes (Paris et Londres, en particulier) contribuent à défrayer les coûts des activités de représentation des ambassades (réceptions). C’est d’ailleurs l’une des raisons pour lesquelles de grands donateurs financiers du parti du président, et non des diplomates de carrière, sont nommés dans ces postes.
Toutefois, certains points faibles sont à signaler. Tout d’abord, l’argument central de l’ouvrage n’est pas suffisamment explicité. Il est clair (bien que plutôt implicite) que l’auteur ne cherche pas seulement à décrire qui sont ceux qui deviennent ambassadeurs, pourquoi et comment ils obtiennent ce titre, etc., mais aussi (ou surtout) à expliquer pourquoi les pratiques de nominations politiques d’ambassadeurs sont problématiques. Or, cet objectif et l’argument sous-jacent – soit que les nominations politiques d’ambassadeurs sont un problème – ne sont pas explicités comme tels, comme si l’auteur voulait donner une apparence d’objectivité à son propos. Le manque de transparence quant à l’argument de l’ouvrage devient encore plus évident lorsque, dans l’un des chapitres, il décrit sept cas différents de mauvaise performance de la part d’un ambassadeur en n’incluant qu’un seul cas impliquant un ambassadeur de carrière et en indiquant au surplus que le rapport ayant jugé de la mauvaise performance de ce dernier est en fait controversé.
Par ailleurs, le manque de transparence de l’argumentaire a pour effet de présenter sous un faux jour le traitement par l’auteur d’une question pourtant fondamentale, soit pourquoi les ambassadeurs (en général, i.e. de carrière ou non) demeurent importants dans notre monde globalisé, « malgré les changements sociaux et technologiques » (p.6). Jett annonce en introduction (et dans le rabat de la première de couverture) qu’il discutera cette question. Or, lorsqu’il le fait dans le dernier chapitre, les différents facteurs mis de l’avant lui servent surtout à faire valoir l’idée que les ambassadeurs de carrière sont mieux placés que quiconque pour jouer le rôle d’ambassadeur dans au moins quatre domaines: l’utilisation efficace des ressources de l’État à l’étranger (par chaque mission diplomatique); l’exercice d’influence sur l’opinion publique des pays étrangers (diplomatie publique); l’application de tact et de jugement, vis-à-vis des représentants et habitants d’un autre pays, au regard du soi-disant « exceptionnalisme américain » que s’emploient fréquemment à clamer les politiciens américains; et enfin, la gestion et la résolution efficace des problèmes globaux qui ne peuvent être résolus par les États-Unis seuls (changements climatiques, terrorisme, etc.). Il est quelque peu ironique que l’auteur mette de l’avant l’importance des ambassadeurs pour gérer les problèmes globaux alors qu’en réalité les diplomates du Service extérieur américain ont depuis longtemps eu tendance à éviter de travailler sur ce type d’enjeux[ii].
En somme, bien que American Ambassadors n’offre pas une réflexion aussi approfondie qu’on le souhaiterait sur le rôle d’ambassadeur dans les relations internationales contemporaines, il s’avère néanmoins un ouvrage fort utile pour quiconque cherche à en savoir plus sur les rouages bureaucratiques de la diplomatie américaine.
Kathleen Angers, Université de Montréal
[i] Jusque là les diplomates américains portaient plutôt le titre de ministres ou consuls, ce qui affectait négativement le rang des émissaires américains à l’étranger.
[ii] American Academy of Diplomacy, 2015, American Diplomacy at Risk, available at http://www.academyofdiplomacy.org; Boyatt, T., Johnson, S., Neumann, R. and Pickering, T., 2013 « The case for a Professional Foreign Service », Foreign Service Journal, vol. 90 (9).