Order within Anarchy. The Laws of War as an International Institution

Le droit international humanitaire (DIH), s’est largement développé au cours des 150 dernières années. Si la convention de Genève de 1864 sur le traitement des malades et des blessés dans la guerre comprenait seulement dix articles, les quatre conventions de Genève de 1949 en comprennent un total de 427, les deux protocoles additionnels de 1977 en rajoutant 130 supplémentaires. Mais si les règles de droit encadrant la guerre sont de plus en plus nombreuses, celles-ci sont néanmoins régulièrement violées au cours des hostilités. La question des conditions du respect et du non-respect du DIH est donc centrale pour les juristes et internationalistes étudiant le phénomène guerrier. C’est toute l’ambition de l’ouvrage de Morrow que d’arriver à une théorie explicative du respect du DIH.

9781107626775

L’auteur utilise la théorie des jeux pour générer des prédictions sur la manière dont les Etats peuvent se comporter au cours d’un conflit, et teste ses hypothèses à la fois de manière quantitative et de manière qualitative. Le cœur de l’argument de Morrow est que le DIH fonctionne comme un « institution internationale », en réduisant l’incertitude sur les préférences des acteurs. Les préférences exprimées par les Etats lors des négociations et des ratifications des traités internationaux fournissent des informations sur les restrictions qu’ils sont prêts à accepter en temps de guerre. En d’autres termes, le DIH clarifie ce qui est attendu des Etats, et permet de savoir si chacun d’eux va probablement se conformer, ou violer les normes établies. L’un des principaux résultats de l’analyse de l’auteur est que la ratification d’un traité par deux Etats augmente les probabilités de respect des normes de ce traité en cas de conflit armé entre ceux-ci, mais augmente également les risques de violation réciproque en cas de non-respect des normes par l’une des parties. Au final, le DIH influence la conduite des hostilités et le comportement des Etats du fait des attentes qu’il suscite chez les parties au conflit.

L’argument ne semblera pas surprenant pour les juristes, qui ont longtemps soutenu que le DIH réduisait les violences en création des attentes réciproques, mais il n’avait jamais été empiriquement démontré de manière rigoureuse. De plus, les conséquences de la théorie sont importantes. L’argument de Morrow n’est pas que le DIH change les préférences des Etats, mais que les procédures de négociation et de ratification des traités révèlent ces préférences, et réduisent donc l’incertitude. Si c’est le cas, les conséquences pratiques devraient être d’encourager systématiquement les Etats à négocier de nouveaux traités, par exemple sur les systèmes d’armes létaux autonomes (SALA), les drones, ou les cyber-armes, afin que chaque Etat puisse connaître la manière dont les autres comptent utiliser ces armes en cas de conflit, et à quelles contraintes ils sont prêts à se soumettre. De plus, la théorie de Morrow suggère que lorsque ces traités sont développés, il est en fait contre-productif de contraindre les Etats à les ratifier, car cela diminue la valeur informationnelle de l’acte de ratification du traité (beaucoup plus d’incertitudes quant au respect des normes du traité pèsent sur un Etat qui a été diplomatiquement contraint de le ratifier que sur un Etat qui l’a fait de bonne grâce). Cette approche va ainsi à l’encontre de celle de nombreux militants qui plaident pour accélérer la ratification des traités déjà existants.

L’analyse de Morrow n’est pas limitée à cet argument, et il identifie plusieurs phénomènes intéressants. Par exemple, que les premières violations du DIH ont généralement lieu au début du conflit, et que si ces premières violations arrivent en fin de conflit, elles sont généralement commises par la partie victorieuse. De fait, la force de l’ouvrage de Morrow est sa rigueur méthodologique. Sa base de données comprend tous les conflits depuis la guerre des Boers jusqu’à la guerre du Golfe, divisés en dyades de parties au conflit (par exemple, pour la Seconde Guerre Mondiale, les Etats-Unis et le Japon sont une dyade et les Etats-Unis et l’Allemagne une seconde dyade), et codés selon les neuf domaines couverts par le DIH. La partie qualitative se concentre sur le traitement des prisonniers de guerre durant la Seconde Guerre Mondiale, utilisant des sources historiques appropriées. Néanmoins, on peut regretter que l’auteur ne fasse pas une plus large place au droit coutumier dans son analyse, et se poser la question de sa portée contemporaine à une époque ou l’une des principales difficultés du DIH est la pertinence du maintien de la distinction conceptuelle entre conflit interne et conflit international au regard de l’évolution concrète des formes de conflictualité.

Malgré cette réserve, l’ouvrage de Morrow est un tour de force, qui se saisit d’un problème scientifiquement et politiquement majeur, et qui y apporte une réponse théoriquement subtile et empiriquement très rigoureuse.

Olivier Schmitt, Center for War Studies

Cette recension a été originellement publiée dans la Revue Française de Science Politique, 65/6, 2015, pp. 955-956.

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