Presidents and their Generals. An American History of Command in War

La question des relations civilo-militaires a été largement abordée par les sociologues et les politistes aux Etats-Unis. Ses principaux débats ont porté sur la spécificité de la société militaire ainsi que sur le degré d’autonomie ou de subordination des officiers par rapport au pouvoir politique. L’ouvrage de Matthew Moten, ancien doyen du département d’histoire militaire de West Point, s’inscrit dans une perspective de narration historique et concerne plus spécifiquement la relation entre les décideurs des deux sphères.

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Selon l’auteur, il existe un fossé important entre trois éléments. D’une part, une représentation idéalisée selon laquelle le pouvoir militaire serait strictement subordonné aux décideurs depuis que Washington a rendu sa commission au Congrès en 1783. D’autre part, l’héritage des travaux de Samuel Huntington insistant sur la nécessité d’un contrôle objectif exercé par le pouvoir politique sur le corps des officiers et dont la clé de voute serait le professionnalisme de ces derniers. Enfin, la réalité d’une relation beaucoup plus dialectique entre les deux sphères fondée sur leur interpénétration constante. C’est à ce dernier point que s’attache l’analyse de Moten. A travers la succession de portraits détaillant les interactions entre les présidents et leurs généraux, il souligne deux facteurs favorisant une relation optimale. En premier lieu, il est nécessaire que les individus fassent preuve d’une confiance mutuelle car l’interpénétration des deux sphères produit un échange constant entre autorité et responsabilité. En second lieu, la structure des relations politico-militaires importe dans la mesure où elle conditionne la marge de manœuvre des décideurs par rapport à leur propre appareil et dans leurs relations mutuelles.

A partir de cette grille de lecture, l’auteur propose une typologie. Selon cette dernière, les couples Lincoln-Grant, Marshall-Roosevelt et Pershing-Wilson aurait permis à la négociation permanente de se dérouler dans des conditions permettant un résultat optimal. A l’opposé, les tensions entre Lincoln et McClellan d’une part, Truman et McArthur d’autre part s’expliqueraient par le cloisonnement de la sphère militaire. Loin de jeter la pierre aux seuls dirigeants militaires (à la tête de puissantes bureaucraties au moment même où s’affirme la prédominance du pouvoir exécutif), Moten souligne également la politisation croissante du corps des officiers depuis la fin de la guerre froide. Elle s’expliquerait par la tendance à choisir des chefs d’état-major soumis plus que subordonnés afin de s’assurer de l’appui des dirigeants militaires. Elle aurait pour conséquence un engagement partisan croissant des leaders des différentes armées dont la participation dans les comités de soutien électoraux n’est que la partie la plus visible. A terme, Matthew Moten y voit un danger pour l’efficacité du processus de prise de décision stratégique.

L’approche de l’auteur souffre cependant de son choix méthodologique. Abordant la question sous un angle historique, il sacrifie parfois la parcimonie et la rigueur analytique à une narration détaillée. D’autre part, son choix de se concentrer sur la personnalité des décideurs (les présidents et leurs chefs d’état-major des armées) exagère l’importance de ces derniers et néglige le poids des autres facteurs. La structure des relations politico-militaires semble en effet ne peser que de manière secondaire sur les individus.

Il n’en reste pas moins que l’ouvrage de Matthew Moten mérite d’être lu pour son érudition et son plaidoyer en faveur d’une unité sans confusion et d’une distinction sans séparation entre la sphère politique et la sphère militaire.

Stéphane Taillat (CREC Saint-Cyr)

Recension parue originellement dans le numéro 2015/2 de Politique Etrangère

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