Le 21 janvier 2010, Dick van Galen Last a soutenu sa thèse de doctorat à l’université d’Amsterdam. Il est mort dix jours plus tard avant d’entamer le travail nécessaire à sa publication. Son manuscrit a été retravaillé par l’un de ses collègues et publié en 2012 sous le titre De zwarte schandle. L’existence du livre de Jean-Yves Le Naour « La honte noire » (Hachette, 2004) explique probablement l’infidélité de la traduction française au titre original.
Van Galen Last était le bibliothécaire de l’Institut néerlandais de documentation sur la guerre (NIOD), une sorte de Lucien Herr pour une génération d’historiens néerlandais dont il a guidé les travaux. Son travail s’en ressent qui porte la trace d’un souci encyclopédique d’exhaustivité bibliographique. Van Galen Last a tout lu, en néerlandais, en français, en allemand, en anglais. Sur la honte noire, mais aussi sur les théories racistes au XIXème siècle, sur la colonisation française, sur la ségrégation aux Etats-Unis et sur la montée du nazisme en Allemagne ….
Aussi sa thèse est-elle à la fois étonnamment riche par la diversité des sujets qu’elle brasse et étonnamment brève suite aux efforts fructueux de son exécuteur testamentaire pour en rendre le contenu publiable. On n’y apprend guère sur la honte noire que les recherches de Jean-Yves Le Naour n’avaient déjà révélé : il s’agissait d’une campagne de propagande contre la présence de troupes coloniales d’occupation – d’ailleurs moins subsahariennes que maghrébines – accusées de violences sexuelles répétées contre les Allemandes. Ces accusations étaient grossièrement mensongères : les troupes coloniales ne se sont pas plus mal, voire plutôt mieux, comportées que les soldats blancs. Mais pour les Allemands, les Français avaient délibérément choisi de les humilier en inversant la hiérarchie des races et en confiant à des « sauvages » la responsabilité de l’occupation. Cette campagne permit à l’Allemagne de se présenter sur la scène internationale comme la victime impuissante d’une France militariste et revancharde. Elle utilisait pour ce faire un sujet très sensible au Royaume-Uni et plus encore aux Etats-Unis : la phobie des relations interraciales et la hantise du métissage.
Plus novatrice est l’approche globale de ce sujet que justifie pleinement le sous-titre de sa traduction française. Plongeant dans un fonds documentaire multinational, Dick van Galen Last rédige un essai d’histoire mondiale. Les comparaisons qu’il souligne sont étonnantes. La France fut le seul pays à engager des soldats coloniaux sur le front européen. Sans doute l’atonie de sa démographie et la nécessité de défendre son sol eurent-elles leur part dans cette décision. Mais l’idéologie assimilationniste de la République impériale y fut également pour beaucoup. En revanche, ni l’Allemagne ni le Royaume-Uni, qui disposaient pourtant du réservoir colonial pour le faire, n’envoyèrent de troupes combattre en Europe. Les Etats-Unis non plus furent très réticents à expédier des Noirs américains en Europe. De là à se rengorger de l’attitude de la France à l’égard de ses tirailleurs sénégalais, il n’y a qu’un pas que la rapide amnésie, une fois la victoire acquise, des promesses faites aux recrues africaines évite de trop rapidement franchir.
Yves Gounin
Cette recension a été publiée dans XXe Siècle, Revue d’Histoire, n° 130.
Je suis très surpris de lire que « La France fut le seul pays à engager des soldats coloniaux sur le front européen », comme le fait l’auteur du compte-rendu. Des troupes indiennes servirent sur le front occidental et en particulier à Ypres, Givenchy, Neuve Chapelle, Festubert et Loos.
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