En raison de leur prédominance dans les actions militaires et diplomatiques des grandes puissances depuis 1945, l’intérêt pour les guerres limitées n’a cessé de croitre en relations internationales. Spencer Bakich – professeur au Sweet Briar College – s’interroge sur les facteurs du succès et de l’échec dans des conflits caractérisés par un engagement substantiel mais restreint pour des objectifs vitaux sans être existentiels. Plutôt que de s’en tenir aux seuls critères de la puissance ou de l’incertitude, l’auteur se focalise sur la structure des flux d’informations entre les décideurs politiques et les principales organisations en charge de la politique étrangère et de la guerre.
L’importance de l’information tient selon l’auteur à la tension inhérente entre l’achèvement des objectifs et les risques d’escalade. D’où la nécessité de disposer d’informations nombreuses et fiables tout autant que de coordonner finement action militaire et action diplomatique. Dans la mesure où l’autorité politique est concentrée au sein de l’exécutif, la structure des relations entre les institutions politiques importe moins que celle entre les composantes du gouvernement. Complétant les théories organisationnelles, Bakich postule que la manière dont l’information est partagée et circule entre celles-ci est la variable indépendante expliquant les variations dans le succès ou l’échec des guerres limitées. Plus les décideurs ont accès à des sources multiples et les organisations partagent les informations entre elles, plus la probabilité de mener les objectifs à bien est importante. Ainsi, la structure des flux d’information est à la fois un cadre normatif régissant les relations entre les acteurs du gouvernement et un indicateur du degré de sophistication stratégique d’un Etat.
L’auteur consacre l’essentiel de son livre quatre études de cas : la guerre de Corée, la guerre du Vietnam, la guerre du Golfe et l’invasion de l’Irak. Bakich établit une typologie tenant compte des résultats diplomatiques et militaires. Si la guerre de Corée est un double échec et la guerre du Golfe un succès dans ces deux domaines, la guerre du Vietnam et la guerre d’Irak offrent un bilan mitigé. Dans chacun de ces cas, la qualité de la collecte et de l’analyse de l’information d’une part, et le degré de coordination militaro-diplomatique d’autre part servent à vérifier l’hypothèse concernant la structure des flux d’information au sein de l’exécutif. L’auteur s’y appuie sur un corpus documentaire solide, alliant sources et littérature secondaire. Chaque chapitre se conclut également par un examen des explications alternatives, notamment celles liées aux relations politico-militaires, aux cultures organisationnelles des forces armées ou à l’impact des informations endogènes (c’est-à-dire révélées durant le conflit).
Spencer Bakich offre donc une étude rigoureuse et solidement documentée faisant le lien entre l’analyse de la politique étrangère, les études stratégiques et les relations internationales. Toutefois, son analyse vaut essentiellement pour les Etats-Unis dont les ressources et les capacités dépassent celles des autres acteurs. Il conviendrait donc d’appliquer son modèle à l’étude empirique de ces derniers et de relier plus rigoureusement son argument à une réflexion sur la puissance comprise comme la capacité à mettre en œuvre les ressources dans un contexte donné.
Stéphane Taillat, CREC Saint-Cyr
Recension initialement parue dans Politique Étrangère, 2014/4