The Black Door: Spies, Secret Intelligence and British Prime Ministers

C’est toujours avec le plus grand enthousiasme que la littérature académique sur le renseignement (Intelligence studies) accueille les travaux de Richard J. Aldrich (Professeur de sécurité internationale à l’Université Warwick en Angleterre). Ses ouvrages précédents sur les coopérations entre les Etats-Unis et le Royaume-Uni dans l’après seconde guerre mondiale[1] et plus récemment sur l’histoire du GCHQ[2] et du Joint Intelligence Committee[3] (avec Michael Goodman) furent des game-changers dans l’historiographie du renseignement britannique. Le dernier ouvrage de Richard J. Aldrich et Rory Cormac (Professeur associé de Relations internationales à l’Université de Nottingham) ne déroge pas à la règle et propose une histoire chronologique des relations entre la ‘machinerie’ du renseignement anglais et les Premiers ministres pour en montrer toute la centralité dans les pratiques de gouvernement ou comme le disent les auteurs : « The use of secret intelligence is one of the dark art of statecraft » p.3. Plus que son rôle dans le gouvernement, l’ouvrage est une réflexion sur la place du renseignement dans la projection globale du Royaume-Uni. Thème cher à Richard Aldrich qui avait montré dans ses précédents travaux comment l’implantation de bases de renseignement à l’étranger et les coopérations internationales étaient dans l’immédiat d’après seconde guerre mondiale des moyens privilégiés de ralentissement du déclin de l’empire britannique.

Sans titre

Cette publication vient compléter les histoires officielles du MI5 par Christopher Andrew[4] et plus journalistiques du MI6 par Gordon Corera[5]. Par la montée d’un étage en direction du Premier ministre, après différentes publications spécialisées sur les services, l’ouvrage prouve toute la cohérence des Intelligence studies britanniques contemporaines.

Consacrant un chapitre à chaque Premier ministre, d’Herbert Asquith (1908-1916) à David Cameron (2010-2016) l’ouvrage se présente comme l’équivalent de la somme de Christopher Andrew parue en 1996 et retraçant au fil des présidences la contribution du renseignement à la sécurité nationale américaine[6]. Courant sur plus d’un siècle, il insiste sur la ‘révolution’ opérée par Winston Churchill dans le contexte de la seconde guerre mondiale (autour du renseignement technique de Bletchley Park et du Special Operation Executive, SOE) puis Clement Attlee (1945-1951) quant aux relations renseignement/gouvernement et une nouvelle praxis britannique (British statecraft). Bien que certains de leurs successeurs s’y montèrent plus favorables que d’autres, le renseignement est passé de l’ombre au centre du jeu à tel point que les futurs Premiers ministres ne pourront s’en passer. Dernier exemple en date de ce processus, la création par David Cameron du National Security Council[7] et plus récemment du National Cyber Security Centre. Pour les auteurs, les prochains leaders seront d’autant plus amenés à mobiliser le renseignement et les opérations clandestines que le monde globalisé fait constamment jaillir des surprises de toutes natures auxquelles ils doivent répondre. Les relations entre le Premier ministre et ses services secrets en deviennent plus « importantes, complexes et chargées d’enjeux » p.485.

Poursuivant leurs recherches sur les pratiques secrètes de gouvernement, le livre s’attache à l’analyse de la prise en considération du renseignement et de ses capacités par les Premiers ministres successifs. Pour les auteurs, il est parfois un simple facteur impactant la réflexion des Premiers ministres, mais peut parfois prendre une dimension plus personnelle en les renseignant sur ce que leurs opposants pensent d’eux. Mais le renseignement est surtout mobilisé dans les politiques de sécurité intérieure, pour prévenir des attaques terroristes et extérieure pour prévenir des guerres, ou si elles sont déjà engagées la qualité du renseignement sera l’élément décisif, entre autres, quant à la victoire ou la défaite. Aussi, et c’est là l’un de ses aspects les plus incisif, l’ouvrage montre comment le monde du secret (‘secret world’) peut aider à la résolution des dilemmes les plus complexes pour les Premier ministres en leur fournissant une main invisible (‘hidden hand’) afin d’agir sur les situations politiques, derrière la scène de l’histoire (‘behind the scene of history’). Dans ce sens, le renseignement peut devenir un instrument privilégié par lequel les services sont mobilisés pour « faire le sale boulot » (‘dirty work’) sur le territoire national comme à l’étranger, mais produire le risque d’un effet retour fatal à l’avenir du Premier ministre. Il faut préciser que l’ouvrage n’est en aucun cas l’histoire des complots déployés par le gouvernement britannique, mais une reconstruction sur documents – ce qu’atteste la bibliographie – de toutes les formes de mobilisation du renseignement au sein du gouvernement, jusque dans ses aspects les plus éthiquement problématiques (espionnage, guerres clandestines…).

La thèse générale du livre énonce la centralité du renseignement dans les pratiques du gouvernement britannique, par l’analyse des relations toujours plus étroites entre le Premier ministre, le Joint Intelligence Committee et les trois grands services, MI5, MI6 et GCHQ. Pour les auteurs : « Les liens entre le numéro 10 et les services de renseignement britanniques, aussi intimes que secrets, sont au cœur du l’establishment anglais. Pendant plus d’un siècle, un courant de boites secrètes – rouges pour le MI6 et bleues pour les interceptions de communication du GCHQ – a été entretenu en direction du 10 Downing Street » p.3. Quelques soient les dispositions intellectuelles des Premiers ministres à l’égard du renseignement, tous y ont eu recours à des degrés et selon des modalités que le livre expose en détails, posant un regard nouveau sur les moments les plus célèbres de l’action extérieure britannique, de la guerre des Malouines à l’intervention en Afghanistan, par exemple. En résumé, l’histoire proposée par les auteurs met en lumière la permanence et la centralité du renseignement comme outils de la politique étrangère britannique.

D’une écriture limpide et précise, cet ouvrage s’impose comme indispensable ; dans le contexte sécuritaire contemporain marqué par la centralité du renseignement comme enjeu de la politique internationale, ainsi que la couverture médiatique quotidienne dont il est l’objet sous les tonalités du ‘scandale’ et de la ‘révélations’. Le livre de Richard J. Aldrich et Rory Cormac est plus que bienvenu pour trois raisons principales. Tout d’abord parce qu’il défend l’intérêt d’une histoire des agences et services et de leur fonctionnement internes. En cela il s’inscrit dans la grande tradition anglaise des Intelligence studies. Ensuite parce qu’il reconnecte le renseignement aux pratiques de gouvernement quant à la sécurité et la politique étrangère, pour en montrer toute l’étendue, tous les enjeux, les succès mais aussi les contraintes et limites. En somme l’ouvrage contribue à la réflexion en cours sur la fonction du renseignement au plus haut niveau de l’Etat. Il propose un contrepoint incontournable au succès d’une autre littérature académique portée sur les phénomènes de surveillance, dont les services de renseignement sont les points de compréhension tout en étant eux-mêmes mal compris. Enfin, l’ouvrage prouve que les problématiques du renseignement ne peuvent plus désormais être reléguées au rang de « dimensions manquantes » de la politique internationale ; parce qu’elles peuvent être historicisées avec la plus grande rigueur méthodologique (malgré toutes les limites d’accès aux archives reconnues par les auteurs eux-mêmes), et font partie intégrante des relations internationales et de l’analyse de la politique étrangère[8]. Une lecture très chaudement recommandée ou comme on dit outre-Manche, worth reading !

Benjamin Oudet. Université de Poitiers

[1] Richard J. Aldrich, The Hidden Hand, Reprint (Woodstock: Overlook Books, 2003).

[2] Richard Aldrich, Gchq: The Uncensored Story of Britain’s Most Secret Intelligence Agency (London: HarperPress, 2011).

[3] Michael S. Goodman, Richard J. Aldrich, et Rory Cormac, Spying on the World: The Declassified Documents of the Joint Intelligence Committee, 1936-2013 (Edinburgh: Edinburgh University Press, 2014).

[4] Christopher Andrew, The Defence of the Realm: The Authorized History of MI5 (Penguin, 2012).

[5] Gordon Corera, MI6: Life and Death in the British Secret Service (London: W&N, 2012).

[6] Christopher Andrew, For the President’s Eyes Only: Secret Intelligence and the American Presidency from Washington to Bush (New York: Harper Perennial, 1996).

[7] « National Security Council – GOV.UK », https://www.gov.uk/government/groups/national-security-council.

[8] Si la visibilité croissante de toutes les problématiques du renseignement contemporain tend à plaider pour cette connexion avec les relations internationales et le courant académique d’analyse de la politique étrangère (Foreign Policy Analysis, FPA), celle-ci est loin d’être évidente. Il n’est que de noter l’absence totale de référence au renseignement dans la dernière édition de Foreign Policy, Theories, Actors, Cases, par Steve Smith, Amelia Hadfield et Tim Dunne, paru aux presses d’Oxford en 2016.

Une réponse à “The Black Door: Spies, Secret Intelligence and British Prime Ministers

  1. Pingback: Disrupt and Deny. Spies, special forces and the pursuit of British foreign policy | Les lectures d'AEGES·

Votre commentaire

Entrez vos coordonnées ci-dessous ou cliquez sur une icône pour vous connecter:

Logo WordPress.com

Vous commentez à l’aide de votre compte WordPress.com. Déconnexion /  Changer )

Image Twitter

Vous commentez à l’aide de votre compte Twitter. Déconnexion /  Changer )

Photo Facebook

Vous commentez à l’aide de votre compte Facebook. Déconnexion /  Changer )

Connexion à %s