The Future of Intelligence

Il est quelques grands noms du champ de recherche sur le renseignement (Intelligence studies) dont les écrits sont attendus, surtout s’ils sont rares. C’est le cas de Mark M. Lowenthal, ancien analyste au Département d’Etat américain (Intelligence and Research), puis « Assistant Director » de la CIA, « Vice Chairman » du National Intelligence Council (2002-2005), professeur chaque automne depuis des années à Sciences Po Paris pour un cours d’introduction au renseignement américain et champion du Jeopardy en 1988[1]. On lui doit un ouvrage de référence aux côtés de ceux de Michael Herman[2] et David Omand[3], Intelligence : From Secrets to Policy[4] ; passage obligé pour quiconque s’intéresse aux études académiques de renseignement.

Sans titre

Court, ramassé, et très accessible, The Future of Intelligence se veut un ouvrage programmatique et de synthèse décrivant les trois grandes variables qui pèseront sur l’avenir du renseignement : l’évolution technologique (capacité technique de collecte et ruptures technologiques) ; les enjeux de l’analyse qui demeurera – seule prédiction de l’ouvrage – l’élément central de la relation entre le renseignement et la politique ; la gouvernance du renseignement. Il y réaffirme la centralité de l’Etat quant à l’avenir du renseignement : « Partant de la prémisse que le renseignement est une fonction normale de nombreux d’Etat, la nature de l’Etat-nation dans l’avenir est aussi un facteur déterminant quant à l’avenir du renseignement ». (p10).

S’il ne se veut pas prescriptif Mark Lowenthal propose un système de variables déterminantes quant à la forme et la fonction du renseignement dans les démocraties occidentales : les ruptures technologiques, la quantité d’information publique disponible, le flot croissant d’informations de différentes sources, la montée des menaces transnationales, et le changement du regard du public quant à la légitimité des opérations clandestines et de collectes réalisées par les gouvernements. Ce qu’il remarque c’est le changement de statut du renseignement dû à l’impératif de son contrôle dans les régimes démocratiques et libéraux, sa montée en visibilité dans les politiques contre-terroristes, la question de ces « échecs » et de sa politicization[5]. Pour lui, et en écho à d’autres publications américaines récentes, le renseignement n’est pas seulement une problématique de politique étrangère mais est devenu une problématique de sécurité liée à la vie quotidienne des citoyens.

L’ouvrage porte la marque du positionnement actuel des études de renseignement américaines tournées très majoritairement vers le fonctionnement et la structure interne de la communauté du renseignement dont la raison d’être est pour Lowenthal la réduction des incertitudes dans les choix de politique étrangère et dont les trois pôles d’activités sont la collecte, l’analyse et la conduite de certaines opérations. Pour lui, quand nous parlons de renseignement, nous parlons concrètement de : «  la capacité d’un Etat à conduite des opérations de collecte et d’analyse ainsi que la conduite de certaines opérations d’un type différent que celles conduites dans la diplomatie ou les opérations militaires » (p4).

S’il porte son regard sur le fonctionnement interne du renseignement Mark Lowenthal n’en rappelle pas moins la dimension fondamentalement politique du renseignement : « Il faut toujours garder à l’esprit le fait que l’analyse de renseignement existe au sein d’une arène politique et non l’extrait d’un salon intellectuel. Les analystes de renseignement s’efforcent et en général parviennent à demeurer politiquement neutres mais leur fonction est partie prenante d’un processus politique dont les implications sont politiques » (p61). Ancien analyste, il s’efforce de montrer les conditions dans lesquelles l’analyse pourra apporter une valeur ajoutée à la décision politique et militaire. Si l’analyse doit demeurer le lien privilégié entre les services et le politique, il faut qu’au-delà des sources de renseignement à la disposition des analystes, ceux-ci soient formés pour donner à leur production le contexte, le sens, l’évaluation ainsi qu’une une gamme des résultats possibles et hiérarchisés en fonction de leurs probabilités, nécessaire à la « bonne décision ».

Ainsi la fonction du renseignement est pour M. Lowenthal l’acquisition d’un avantage de décision (decision advantage) c’est-à-dire fournir aux décideurs les analyses décisives pour la poursuite de leurs objectifs face à d’autres Etats (rivaux ou amis). Mais c’est aussi la réduction des incertitudes quant aux résultats des différentes politiques envisagées par un décideur. Comme il le décrit dans le chapitre dédié à la gouvernance : « Au sein des démocraties, le renseignement est un service. Le renseignement existe uniquement pour fournir un soutien analytique et opérationnel aux décideurs politiques ; le renseignement n’a pas d’existence indépendante. Si les activités du renseignement ne peuvent pas être reliées à une demande politique, alors elles sont simplement hors limites ». (p85).

Si les relations entre l’actuelle administration américaine et la communauté de renseignement sont évoquées à plusieurs reprises, elle sont interprétées comme un problème fonctionnel lié à l’alternance des phases de rapprochement et de distanciation entre les agences et les Présidents ; non comme un problème politique ou moral lié à l’actuel locataire de la Maison Blanche[6].

On relèvera une contradiction interne dans la conclusion de l’ouvrage quand Mark Lowenthal prévient que : « Le futur du renseignement ne sera pas déterminé pas ce qui se passe dans le renseignement mais par ce qui se passe dans la politique internationale » (p.128). Non que la politique internationale ne soit pas un objet mais que le renseignement, au fond, n’ait pas d’enjeux de sécurité qui lui soit intrinsèquement donnés par nature. Le futur du renseignement sera lié pour lui à la priorisation des menaces, qu’elles soient étatiques ou non. Toute la question pour les services de renseignement sera l’adaptation et la transformation de leurs structures et méthodes face à la résurgence de la compétition inter-étatique ou d’acteurs non étatiques se déployant dans le cyber. Avec la technologie, les conditions de l’analyse et la gouvernance, ce qui est essentiel pour Mark Lowenthal d’un point de vue structurel c’est la capacité des communautés du renseignement à établir – sous la responsabilité du politique – une priorisation des menaces à traiter tout en conservant la souplesse nécessaire à l’adaptation face aux enjeux émergents imprévisibles. Il est intéressant de remarquer que s’il tient compte en conclusion des facteurs exogènes pesant sur le futur du renseignement, il n’en donne pas de priorité ni d’avis personnels. Il le précise sans s’y attarder : « La possibilité et la manière que les alliés occidentaux auront de répondre à une Russie relancée et revancharde (revived and revanchist), pourra avoir un effet majeur sur la gouvernance du renseignement ». p (114).

The Future of Intelligence est un remarquable ouvrage de synthèse et de réflexion ayant pour ambition, comme le remarque non sans humour son auteur, « de penser le futur d’une profession dont la fonction est précisément de faire des pronostics sur le futur ». Mark M. Lowenthal offre une analyse plus que précieuse sur les enjeux actuels et à venir du renseignement ; qu’il s’agisse de l’apport des technologies, du lien entre services de renseignement et les décideurs, du contrôle démocratique, de la gestion du secret et l’éthique Une lecture très chaudement recommandée à tous ceux intéressées par cette dimension désormais centrale des politiques de défense et sécurité, d’analyse de la politique étrangère et de Relations internationales. Un ouvrage plus que stimulant au croisement de l’expérience de praticien du renseignement au plus haut niveau et de l’analyse académique.

Benjamin Oudet, Université de Poitiers     

[1] Chuck Forrest Lowenthal, Mark, Secrets of the Jeopardy Champions by Forrest, Chuck, Lowenthal, Mark (1992) Paperback (Grand Central Publishing, 1992).

[2] Michael Herman, Intelligence Power in Peace and War (Cambridge University Press, 1996).

[3] David Omand, Securing the State, Reprint (Oxford University Press, USA, 2014).

[4] Mark M. Lowenthal, Intelligence: From Secrets to Policy, 7th Revised edition (CQ Press, 2016).

[5] Sur ce dernier point voir, Uri Bar-Joseph, ‘The Politicization of Intelligence: A Comparative Study’, International Journal of Intelligence and CounterIntelligence 26, no. 2 (1 June 2013): 347–69.

[6] Sur les relations fluctuantes entre la présidence américaine et la communauté du renseignement voir, Christopher Andrew, For the President’s Eyes Only: Secret Intelligence and the American Presidency from Washington to Bush (New York: Harper Perennial, 1996).

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