Dictionnaire du renseignement

La publication  d’un dictionnaire, comme celle d’un manuel d’introduction et de synthèse, est toujours un moment important de la constitution d’un champ de recherche. Le Dictionnaire du renseignement , publié sous la direction d’Hugues Moutouh (préfet, ancien Conseiller à la présidence de la République et auprès du  ministre de l’Intérieur) et de  Jérôme Poirot (ancien adjoint du Coordinateur national au renseignement à l’Elysée) s’impose d’ores et déjà comme une étape  incontournable de  la structuration des études françaises  sur le renseignement. Celles-ci s’adossent à la fois au programme de recherche  interdisciplinaire anglo-américain (les  Intelligence studies) et en France à l’Histoire et aux études stratégiques[1]. Ce sera un ouvrage important  pour ce champ de recherche dont on voit toute la pertinence après la parution en octobre 2017 du Dictionnaire de la guerre et de la paix [2]. C’est en outre un projet éditorial qui s’inscrit dans la lignée des travaux importants des historiens et des théoriciens du renseignement en France, qui ont dégagé une singularité nationale autour de la centralité de l’État et du pouvoir administratif[3].

Sans titre

Réunissant une quinzaine d’auteurs (quelques  universitaires mais principalement  des hauts fonctionnaires, dont certains sous pseudonyme voire anonymes ), le Dictionnaire du renseignement  tient une place tout à fait particulière au sein des publications récentes en français, du fait de  la mobilisation de praticiens encore en activité. Et par son  souci d’accessibilité et dans le même temps  d’érudition, cet ouvrage  rompt pour la première fois avec le genre privilégié jusqu’à présent des  entretiens et des  Mémoires[4].

Le Dictionnaire couvre un large champ lexical lié au renseignement en proposant 271 entrées à la fois biographiques, historiques, conceptuelles, thématiques, et sur des pays. Il fait aussi la part belle à la fiction avec des entrées consacrées aux romans d’espionnage, au cinéma mais aussi aux séries télévisées. Et par les références bibliographiques qu’il propose à la fin de chaque entrée (fait notable !) et la bibliographie de référence en fin d’ouvrage, le Dictionnaire s’avère à la fois un précieux guide d’initiation aux problématiques du renseignement et un outil de recherche universitaire. L’ouvrage s’ouvre avec l’entrée « Académie du renseignement ». C’est sans aucun doute un simple effet de classement alphabétique, mais on se plait à y voir une dimension symbolique. Le Dictionnaire déploie en quelque sorte à destination du public le même effort que l’Académie déploie dans l’univers du secret : articuler une réflexion à la fois théorique et pratique.

Ce livre représente  au fond une nouvelle étape depuis l’ambition fondatrice de l’Amiral Pierre Lacoste, qui invitait à la fin des années 1990 à un effort de réflexivité des praticiens et de désenclavement de l’objet de recherche « renseignement ». Et comme nous espérons que ce sera un succès éditorial, ce serait notre seule recommandation pour la seconde édition : qu’une entrée lui soit consacrée.

Olivier Chopin (EHESS), Benjamin Oudet (Université de Poitiers)

[1] Olivier Forcade, ‘Objets, approches et problématiques d’une histoire française du renseignement : un champ historiographique en construction’, Histoire, économie & société 31, no. 2 (2012): 99–110.

[2] Benoît Durieux, Frédéric Ramel, and Jean-Baptiste Jeangène Vilmer, Dictionnaire de la guerre et de la paix (Paris: Presses Universitaires de France – PUF, 2017).

[3]  Olivier Forcade, La République secrète, Histoire des services spéciaux français de 1918 à 1939 (Paris : Nouveau Monde, 2008),  Sébastien Laurent, Politiques de l’ombre : Etat, renseignement et surveillance en France (Paris: Fayard, 2009); Jean-Claude Cousseran and Philippe Hayez, Renseigner les démocraties, renseigner en démocratie (Éditions Odile Jacob, 2015); Jean-Claude Cousseran and Philippe Hayez, Leçons sur le renseignement (Odile Jacob, 2017).

[4] Alain Bauer, Les Guetteurs (Odile Jacob, 2018); Sébastien Laurent et al., Les espions français parlent : Archives et témoignages inédits des services secrets français (Paris: Nouveau Monde Editions, 2013); Jean Guisnel and David Korn-brzoza, Au service secret de la France – Les maîtres de l’espionnage se livrent enfin… (Paris: Points, 2017); Paul-Louis Voger, Je ne pouvais rien dire: Contre-espionnage, antiterrorisme : un ancien espion raconte (Archipel, 2018); Yves Bonnet, Contre-espionnage, mémoires d’un patron de la DST (Paris: Calmann-Lévy, 1999).

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