Pacifism’s Appeal: Ethos, History, Politics

Paru dans la très dynamique collection « Rethinking Peace and Conflict Studies » de l’éditeur britannique Palgrave Macmillan, le livre à signaler est issu d’un colloque tenu à l’université d’Anvers en décembre 2017 et financé par le jésuite « Centre Universitaire Saint-Ignace » (UCSIA). Pacifism’s  Appeal: Ethos, History, Politics s’attaque à un sujet décidément dans l’air du temps : pourquoi le courant du pacifisme a-t-il si peu d’influence politique et pourquoi si peu de personnes se revendiquent explicitement comme « pacifistes », alors que beaucoup de gens rejettent la violence et la guerre comme moyens de résoudre les conflits ? Les éditeurs scientifiques Jorg Kustermans, Tom Sauer, Dominiek Lootens et Barbara Segaert se montrent convaincus que le pacifisme de nos jours à urgemment besoin d’une « mise à jour ».

PACIFISM

Le livre s’attaque donc à une question très intéressante et d’une grande actualité et il se divise en trois parties. La première traite l’« Éthique contemporaine du pacifisme », la seconde l’ « Histoire intellectuelle globale du pacifisme » et la dernière l’« Ordre pacifiste global ». La première partie, dédiée à la question de savoir à quoi un pacifisme « mis à jour » ressemblerait, se compose des contributions du philosophe et juriste Cheyney Ryan et de la philosophe Amanda Cawston. Cheyney Ryan prend à bras le corps la question posée dans l’introduction, à savoir celle de savoir si les transformations actuelles de la guerre transforment également les attitudes pacifistes. Il discute en particulier la thèse des « nouvelles guerres », en s’appuyant notamment sur Mary Kaldor, en se focalisant sur la question du terrorisme. Sans se livrer à une critique de la thèse des « nouvelles guerres » Ryan fait néanmoins observer que la distinction entre ce qu’il appelle la « vraie guerre » et les « hostilités », c’est-à-dire entre la guerre régulière et la guerre irrégulière, s’observe depuis longtemps et n’est en aucune manière une invention récente. Ainsi la critique, classique parmi les pacifistes, du « système de la guerre » concomitante du système interétatique moderne, est toujours valable. Cela signifie, entre autres, que les réponses militaires au terrorisme sont tout aussi inutiles que moralement douteuses.

            Amanda Cawston, quant à elle, s’efforce de redéfinir le pacifisme comme « violence re-appropriée ». Selon elle, les citoyens des États démocratiques ont un rapport « aliéné » à la violence étatique sous ses différentes formes (elle mentionne, outre la guerre proprement dit, également le contrôle militarisé des frontières). Le but politique du pacifisme serait ainsi de lutter pour une « ré-approriation » démocratique de cette violence. Il aurait été intéressant de prolonger cette discussion de philosophie politique sur le terrain de l’histoire des idées, en expliquant, par exemple, le lien de cette idée avec le topos du « peuple en armes », un des points-phare du républicanisme classique.

            Afin de « dé-provincialiser » le pacifisme, courant politique et intellectuel qui a ses racines avant tout dans le monde occidental et dans le monde anglo-saxon en particulier, la deuxième partie s’efforce de regarder au-delà de l’Europe et de l’Amérique du Nord. Martin Ceadel retrace l’histoire du mouvement pour la paix britannique du XIXe et du XXe siècle, Iain Atack offre une contribution sur Tolstoï, Meena Sharify-Funk compare des conceptions hindou, islamique et bouddhiste de la paix et du pacifisme, tandis que Mark Gelber parle du judaïsme et du sionisme et de leurs rapports au pacifisme. L’historien du pacifisme britannique Martin Ceadel propose ainsi une série de distinctions au sein du pacifisme les lesquels les autres contributeurs reviennent souvent : entre pacifisme « absolue » (le seul que Ceadel appelle « pacifisme ») et « réformiste » (qu’il préfère appeler « pacificiste ») et qu’il distingue des courants du « défensisme » (dont la tradition de la « guerre juste ») et de l’isolationnisme. Parmi le  « pacificistes » on trouve des libéraux, partisans du libre-échange, dont Richard Cobden est peut-être l’exemple-type, mais aussi les oppositions socialistes, féministes et écologistes à la guerre, ainsi que la « responsabilité de protéger ». De l’autre côté il y a le « vrai » pacifisme, qui se compose d’un courant « déontologique » (qui considère la paix comme un impératif moral inconditionnel) et d’un courant « conséquentialiste » (qui considèrent qu’elle donne des meilleurs résultats que la guerre). Le conséquentialisme en matière de paix est habituellement proche d’un « pacifisme optimiste » qui considère que les préceptes du pacifisme sont immédiatement applicables, tandis que le pacifisme déontologique est souvent plus « pessimiste ».

            Dans la troisième partie, Heikki Patomäki condense les idées il y développées dans d’autres publications, en s’appuyant sur la notion de « communauté de défense », développé dans l’ouvrage Political Community and the North Atlantic Area: International Organization in the Light of Historical Experience, dirigé par Karl Deutsch et publié en 1957 chez Princeton University Press. Une « communauté de sécurité » existe entre des membres qui sont chacun persuadés que les conflits entre eux seront réglés de manière pacifique, sans recours à la force. Patomäki discute en particulier les problème d’économie politique global après 2008, en arguant pour la nécessité de développer des institutions démocratiques globales, mais en ajoutant que cela ne signifie pas un plaidoyer pour exportation (par la force si nécessaire) d’un modèle eurocentrique de démocratie.

            Pour terminer le recueil, Bart Dessein esquisse la signification de la notion chinoise de heping qui, contrairement à la notion européenne de « paix », ne s’oppose pas tant à la guerre qu’aux troubles sociaux, et Nathan Funk retrace l’itinéraire intellectuel et politique du théologien américain Glenn Stassen et sa conception d’un dialogue interrelieux sur la paix.

            Pour résumer, le livre ouvre beaucoup de questions intéressantes, mais il ne se donne pas toujours les moyens d’y répondre et ne tient ainsi pas toujours ce que l’introduction promet – ce que les éditeurs scientifiques semblent admettre lorsqu’ils écrivent dans leur conclusion que « l’attrait du pacifisme a été limité et le restera certainement. … Le pacifisme incarne une vérité, mais une vérité que beaucoup de gens ressentent soit comme peu convaincante, soit comme inconvéniente ». Les trois parties du livre ne sont qu’assez superficiellement connectées et les différentes contributions ressemblent souvent à des études de cas choisis un peu par hasard.

            Ce qui frappe surtout est le fait que beaucoup de contributions insistent sur la polysémie du terme « pacifisme », dans la mesure où il existe une multiplicité de façons d’agir en faveur de la paix. Certains contributeurs, tels que Martin Ceadel, proposent une taxinomie des différents pacifismes, en l’occurrence en puisant dans les expériences du mouvement britannique pour la paix du XIXe et du XXe siècle dont il est le spécialiste incontesté. Or ce que l’on trouve beaucoup moins c’est une interrogation sur la polysémie du mot « paix » même, ce qui semble pourtant une question autrement plus fondamentale que celle des différences entre les pacifismes. Les contributions évoque la « paix » dans différentes contextes, surtout dans des contextes religieux, mais le plus souvent sans se poser la question ce que « paix » veut concrètement dire. Est-il anodin que Tolstoï, écrivant en russe, emploie donc le mot mir qui, outre paix, signifie « le monde »? On trouve dans ce recueil assez peu d’approches historiques dont le point de départ serait non pas une taxinomie, mais une histoire conceptuelle attentive aux mots employés dans différents univers culturels et sémantiques. Une exception notable est l’excellente contribution de Bart Dessein, professeur de civilisation chinoise à l’université de Ghent. Situé dans la troisième partie du livre (sur l’ordre global pacifiste), elle aurait pu trouver sa place dans la seconde (sur l’histoire intellectuelle globale du pacifisme). Dessein nous offre une histoire fort intéressante du concept chinois de paix (surtout heping et, à un bien moindre degré, ân), ce qui comble un manque criant dans la littérature existante. Il se concentre surtout sur la tradition du confucianisme et ne s’attarde par beaucoup sur les autres traditions intellectuelles chinoises. La raison en est certainement que Dessein se sert de cette discussion en histoire conceptuelle pour aborder une question d’actualité: quelle influence sur l’ordre global aura l’insistance des cercles dirigeantes chinois sur l’héritage confucéen et y aura-t-il bientôt avec heping un concept rival au concept européen de paix et de peace?

Compte-rendu par Thomas Hippler (Université de Caen), Président de l’AEGES

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