The divided Gulf. The Anatomy of a Crisis

L’idée du livre, The Divided Gulf dirigé par Andreas Krieg remonte à l’année 2014, au moment où il enseignait au sein des Forces armées à Doha. Il se distingue des autres nombreuses publications sur le même sujet[1] par son approche exhaustive qui montre bien comment les rivalités endogènes entre Etats du Golfe exacerbent des facteurs exogènes qui font de cette crise, la plus complexe que l’instance régionale du Conseil de Coopération (CCG) a connu en 39 ans d’existence.

9789811363139

Cet ouvrage réunit des chercheurs et experts essentiellement anglo-saxons et du Golfe pour étudier les ressorts de la crise du Golfe qui a éclaté le 5 juin 2017 et qui perdure, opposant le Qatar à un quartet d’Etats arabes : Arabie saoudite, Bahreïn, Emirats arabes unis et Egypte.

L’ouvrage est composé d’une série de seize chapitres sur des thématiques aussi différentes que la perception sécuritaire des Etats du Golfe, la « militarisation » de l’outil informationnel, le facteur tribal comme élément de déstabilisation des Etats dans le contexte de la crise, l’économie politique comme facteur de division, l’islam politique comme élément clé du clivage EAU versus Qatar ou encore le facteur « Trump » dans la polarisation de la région. On peut regretter l’absence d’ordonnancement méthodologique de l’ouvrage qui contribue à affaiblir sa portée dynamique. L’ouvrage rend compte de manière exhaustive de la perception et de l’action du Qatar dans la crise mais reste trop linéaire lorsqu’il évoque les Etats du quartet. Si la complicité stratégique des EAU et de l’Arabie saoudite est bien rendue pour s’opposer au Qatar, le rôle de l’Egypte est totalement absent. De fait, la dimension dynamique d’une stratégie multilatérale même défaillante des États opposés au Qatar est omise.

Néanmoins, cette remarque n’enlève rien à la pertinence de certains chapitres de l’ouvrage qui se démarquent nettement et qui sont destinés à nous sensibiliser aux questions de fond qui minent l’apparente cohésion de cette région du Golfe. Ainsi le chapitre 3, « Tribe and Tribalism : The Trojan horse of GCC States ? » met en perspective comment l’embargo décrété par les EAU, l’Arabie saoudite et le Bahreïn à l’encontre du Qatar interroge le marqueur identitaire tribal, qui, compte tenu des affiliations tribalo-familiales transfrontalières, risque d’affaiblir d’autant la légitimité des Etats du Golfe.

Ce questionnement est d’autant plus fort que l’on assiste dans l’ensemble de cette région à la résurgence du facteur tribal parallèlement à l’exacerbation d’un narratif nationaliste comme l’illustre bien le chapitre 6 consacré à la surenchère du discours nationaliste par la guerre de l’information.

Dans un autre registre, le chapitre 14 consacré à la nouvelle diplomatie publique qatarie comme mode de gestion et de réponse politique à la crise met en relief la rupture de gouvernance opérée au sein des Etats du Golfe du fait du changement générationnel des leaders de la région.

L’ouvrage est complété par des contributions plus classiques mais nécessaires à la compréhension des enjeux géopolitiques, stratégiques et économiques de la crise. Ainsi, un décryptage est à l’œuvre pour évaluer les recompositions et divisions régionales suscitées par cette crise, tels que le rapprochement du Qatar avec la Turquie et l’Iran, l’équation saoudo-émiratie pour contrer l’Islam politique ou encore la réponse européenne à cette crise mais rien sur le rôle de l’Egypte.

Andreas Krieg conclut logiquement sur ce que cette crise révèle comme changements géopolitiques profonds dans la région mais il passe à côté d’une dimension plus profonde liée au paradigme générationnel comme la toile de fond de cette rupture géopolitique. De plus, une conclusion plus épistémologique sur l’apport de cette crise dans la discipline des relations internationales comme cas d’étude dans l’analyse d’une entité régionale peu aboutie mais néanmoins la plus pérenne du monde arabe aurait eu le mérite de donner plus de résonance au chapitre 10 consacré à l’avenir d’un conseil de coopération du Golfe, plus que jamais divisé par cette crise.

Fatiha Dazi-Héni, Chercheure spécialiste des monarchies du Golfe à l’IRSEM, Co-directrice pédagogique d’une formation continue à Sciences Po Paris consacrée à la région AFMO.

[1] Parmi les contributions de référence sur le sujet : voir Jane Kinninmont, The Gulf Divided. The Impact of the Qatar Crisis, Middle East and North Africa programme, London, Chatham House, May 2019. Kristian Coates Ulrichsen, Qatar and the Gulf Crisis, London, Hurst & company, 2020. François Chauvancy, Blocus du Qatar : L’offensive manquée. Guerre de l’information, jeux d’influence, affrontement économique, Paris, Hermann Editions, 2018.

 

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