The Korean Peace process and civil society, rethinking Peace and Conflict Studies

L’ouvrage du Dr Dong Jin KIM est profondément original, tant par le sujet choisi, c’est-à-dire le processus de paix post guerre de Corée étudié à partir de la société civile coréenne que par la personnalité de l’auteur sur laquelle il est intéressant de revenir. En effet, le Dr KIM est très représentatif de l’action et de la profonde influence de mouvements chrétiens évangélistes et du rôle d’ONG humanitaires dans l’établissement de liens avec la Corée du Nord, dont en premier lieu l’aide et l’accueil de réfugiés nord-coréens mais aussi dans l’élaboration des politiques de rapprochement intercoréennes.

978-3-319-97100-1

Il est actuellement chercheur invité à l’Ecole irlandaise œcuménique (Irish School of Ecumenics) où il enseigne et poursuit un projet de recherche d’une grande résonnance humaine et politique en partenariat avec Corrymeela en Irlande du Nord, sur l’approche comparée des processus d’élaboration de la paix en Irlande du Nord et en Corée.

Ce projet est financé par le Centre de recherche irlandais Marie Skłodowska-Curie Actions (MSCA) et le mécanisme CAROLINE (Collaborative Research Fellowships for a Responsive and Innovative Europe). Il synthétise d’une certaine façon le parcours de recherche et les publications passées du Dr KIM, c’est-à-dire une réflexion sur la construction de la paix, les thèmes de la réconciliation, de la coopération humanitaire et développementale dans la péninsule coréenne et en Asie de l’Est et une approche comparative des processus de paix. Ces choix s’expliquent par le parcours du Dr KIM, qui, s’il a obtenu un doctorat en études nord-coréennes et s’est tourné vers l’enseignement, a également fait des études de théologie et a œuvré au sein d’ONG dispensant de l’aide humanitaire à la Corée du Nord et s’efforçant ainsi de préparer les esprits à la réunification. Il a également servi en tant que chapelain au sein de l’Armée sud-coréenne.

Le Dr KIM reprend dans cet ouvrage un certain nombre de thématiques déjà abordées dans de précédents travaux et publications notamment un papier publié dans la revue International Peacekeeping en 2017 « Building Relationships Across the Boundaries : The Peacebuilding Role of Civil Society in the Korean Peninsula », et un article paru en 2016 dans The Pacific Review, « Aid to the Enemy : Linking Development and Peacebuilding on the Korean Peninsula ». Le livre est d’ailleurs édité dans une collection dédiée « Rethinking Peace and Conflict Studies » dirigée par le professeur Olivier Richmond, qui vise à favoriser une recherche appliquée à l’analyse des processus de construction de la paix sous toutes ses formes, tant théoriques qu’empiriques. Il se décompose en huit chapitres et s’accompagne d’une bibliographie très fournie.

Dans l’introduction, l’auteur soulève la question du rôle de la société civile dans l’établissement d’un processus de paix et de la possibilité d’y voir une alternative à l’action d’acteurs institutionnels enfermés dans des considérations politiques de court terme. La démarche en soin n’est pas nouvelle et a déjà fait l’objet d’une abondante littérature toutefois son intérêt réside dans le choix de la Corée comme illustration. En effet, ce pays se présente comme un cas d’école : à l’issue d’un épisode de 36 années de colonisation japonaise, il a dû faire face à deux conflits majeurs du XX ième siècle, la seconde guerre mondiale (1939-1945) puis la guerre de Corée (1950-1953) et il demeure divisé depuis 1948 non sans avoir adopté les alignements propres à la guerre froide avec une Corée du Sud libérale proche des Etats-Unis et une Corée du Nord communiste proche des régimes chinois et soviétique. Autre particularisme, la péninsule coréenne est dans une situation oscillante entre non paix et non guerre puisqu’elle est régit par un régime d’armistice.

Cette constatation est au cœur de la problématique du livre de Don Jin KIM. La paix n’est qu’apparente entre les deux Corées puisque les relations intercoréennes n’ont pas pu se stabiliser depuis 1953 en dépit de la signature de nombreux accords et, plus récemment des rencontres de hauts niveaux entre les dirigeants des deux Corées et entre le Président des Etats-Unis et son homologue nord-coréen en 2018. Pour l’auteur, la société civile a été le cœur de la construction de la paix entre les deux Corées en avançant les idées de justice sociale et de paix et à travers l’aide apportée à la population du Nord. Mais, cette dynamique a été entravée par les gouvernements, tant au Sud qu’au Nord, face à l’impératif de la sécurité nationale. Sur la base de ce postulat, l’auteur revient sur les concepts clefs des Etudes sur la Paix et les Conflits c’est-à-dire ceux de « processus de paix », « construction de la paix » et de « société civile » pour en analyser les interactions dans le contexte géopolitique propre à la péninsule coréenne depuis le XIXème siècle. Pour lui, cet angle d’approche qui est celui de l’école de la « construction de la paix stratégique » (Lederach, Appleby 2010) doit être privilégié pour la péninsule coréenne car il insiste utilement sur la collaboration et l’interdépendance de multiples acteurs qui à différents niveaux (international, régional, local) participent au processus de peacebuilding. De façon générale, Don Jin KIM estime que les Etudes sur la Paix et les Conflits ont été sous-employées au profit de la mobilisation épistémologique des théories des Relations Internationales trop focalisées sur le rôle des Etats.

Le chapitre 3 de l’ouvrage lui offre l’occasion de contextualiser cette analyse en la rapportant à la guerre de Corée et à la violence structurelle qu’elle va engendrer au cœur des régimes d’essence dictatoriaux et nationalistes au Nord comme au Sud. Cette violence “négative” originelle, elle-même découlant d’une « paix négative » (Galtung 1976) explique notamment les errements des discussions de hauts niveaux sur le processus de paix coréen et le fait que les accords qui y ont été pris n’ont jamais pu être mis en œuvre. Le Chapitre 4 explore ainsi les vicissitudes des négociations intercoréennes en dépit de la tenue de trois sommets entre les dirigeants en 2000, 2007 et 2018 et les difficultés à parvenir à la mise en œuvre durable d’accords y compris dans un cadre bilatéral avec les Etats-Unis (Accord cadre de Genève en 1994) ou ceux issues de discussions multilatérales lors des pourparlers à Six de 2003 à 2009. Pour l’auteur, ces discussions tenues à haut-niveau étaient trop orientées par leurs protagonistes vers l’obtention d’une « visibilité politique ». Pour surmonter cet effet, il recommande la construction d’une plateforme de négociation qui pourrait associer différents acteurs émanant de plusieurs secteurs de la société afin de contribuer à lever les obstacles qui empêchent de parvenir à une résolution durable des tensions intercoréennes (Lederach 1997).

Les chapitres 5, 6, et 7 explorent comment la société civile coréenne a pu opérer en tant que pouvoir intermédiaire dans le processus de construction de la paix notamment en essayant de sortir les deux parties d’un sentiment de victimisation et en réhumanisant « l’adversaire ». A cet effet, Dong Jin KIM passe en revues les activités de différentes associations, dont le Mouvement œcuménique chrétien pour la Paix et l’Unification de la péninsule coréenne, à la lumière de son approche de construction de la paix stratégique. Ainsi, les organisations œcuméniques sud et nord-coréennes (La Korean Christian Fédération, KCF) ont pu organiser en 1986 en Suisse la première conférence non gouvernementale entre les deux Corées depuis la signature de l’armistice de 1953 et s’engager dans une diplomatie de type Track 2. Au-delà du rôle fondamental du Mouvement œcuménique pour la Paix dans le rapprochement intercoréen, l’auteur s’attache également à décrire le développement de la société civile coréenne, sa tradition de mouvement populaire de masse non violent et sa contribution à la démocratisation du pays. Il revient ainsi sur l’épisode fondateur du Mouvement du 1er mars 1919 pour protester contre le colonisateur japonais, puis après la guerre de Corée, sur celui des Femmes pour la Paix et certaines mouvances antimilitaristes ou en faveur des droits de l’homme, ainsi que leurs capacités à mobiliser l’opinion publique sur les questions de justice sociale et de paix. En mai 1980, le soulèvement populaire de Gwangju en grande partie animé par des étudiants sud-coréens permettra de déboucher sur l’introduction du suffrage universel pour l’élection du Président en 1987, non sans connaitre une période de dure répression par les services de sécurité du pays, sur la base de la loi nationale sur la sécurité (National Security Law, NSL). Cette dernière, instaurée en 1948 pour lutter contre l’idéologie communiste représentée par la Corée du Nord, a longtemps servi de prétexte aux régimes autoritaires du Sud, notamment sous la dictature du général Park de 1961 à 1979 pour réprimer toute contestation Assouplie en 1998, elle reste néanmoins toujours en vigueur.

Le Chapitre 7 évoque le lien entre la construction de la paix, l’aide humanitaire et le développement dans le processus de paix coréen. Enfin, le chapitre final propose une synthèse du “strategic peacebuilding” appliquée à la question coréenne et se présente comme un plaidoyer en faveur d’une stratégie de construction de la paix durable pour la péninsule coréenne afin de surmonter la méfiance et l’incertitude qui depuis 70 ans caractérisent cette région.

On retiendra de l’ouvrage de Don Jin KIM que bien qu’il s’agisse d’un ouvrage de conviction, son écriture est d’une grande rigueur et s’appuie sur un appareil scientifique solidement argumenté. Il mobilise notamment les travaux les plus représentatifs de l’école des Peace et Conflict Studies dont ceux d’Olivier Richmond et de Jean-Paul Lederach. On comprend cependant, en creux de la démonstration faite, que cette critique des approches stato-centrées inefficaces vise le poids des Etats-Unis et la surdétermination de la question de la dénucléarisation dans les négociations avec la Corée du Nord. En plaidant pour la réintroduction des sociétés civiles et la reconnaissance du travail accomplis par des associations religieuses et des ONG sud-coréennes, Don Jin KIM plaide en faveur d’une plus grande participation de la Corée du Sud dans le processus de construction de la paix et de l’importance des objectifs de réconciliation, de dialogue et de coopération entre les deux Corées.

Marianne Péron-Doise, Chargée du programme Sécurité maritime internationale à l’IRSEM

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