Théories des relations internationales

Rendre claires et accessibles les théories des Relations internationales (RI) en 128 pages, c’est un ambitieux exercice de synthèse et de vulgarisation auquel s’est adonné Jean-Baptiste Jeangène-Vilmer[1]. La présente recension adoptera un angle singulier tant elle ne s’essayera pas seulement à critiquer le contenu et l’approche du livre mais surtout d’en déceler le potentiel instructif pour un néophyte en ce domaine (étudiant, chercheur en sciences connexes, citoyens intéressés par ces questions, etc.). En d’autres termes, le livre remplit-il bien son objectif annoncé de clarté et d’accessibilité ?

Délaissant un traitement approfondi du sujet[1], l’ouvrage présente toutefois la majorité des théories et donne les clés pour une étude plus détaillée de celles-ci. La présentation de chaque courant est effectivement accompagnée de citations et d’abondantes références bibliographiques qui donnent au lecteur un matériau utile pour en approfondir les subtilités.

Divisé en sept chapitres, le livre suit une approche chronologique qui, à partir d’une base commune, illustre deux mouvements : une relativisation des rapports entre les théories et un élargissement du champ.

À la suite d’une précieuse et brève introduction sur l’histoire, les objectifs et les caractéristiques des RI, le premier chapitre se consacre à « La théorie ». Celui-ci pose les bases non seulement de la notion de théorie mais aussi de ses implications pour l’étude des RI. L’auteur souligne ainsi que la théorie est partout : elle est à la fois un angle de vue, un discours et une forme de langage. Discuter des RI, c’est mobiliser des bases théoriques, consciemment ou non. Le novice découvre à ce stade qu’il utilise déjà les théories des RI sans le savoir.

Suivant cette partie liminaire, la base du livre repose sur trois chapitres qui présentent les deux théories classiques des RI (réalisme et libéralisme) et des approches critiques (marxisme, postpositivisme, féminisme, postcolonialisme). On peut à ce titre saluer la présence de ces théories critiques qui ne relevaient pas de l’évidence tant certains ouvrages peuvent se cantonner à des théories plus classiques et occidentales[2]. Ces premières théories sont présentées selon une approche concurrentielle, chacune se construisant par exclusion de l’autre.

À partir de cette base les chapitres suivants exposeront des théories des RI mais avec une certaine distance, soit parce qu’elles mobilisent un champ connexe aux RI, soit parce qu’elles favorisent une complémentarité entre les approches.

Le chapitre dédié au constructivisme illustre cette prise de distance. S’il est souvent accolé aux deux grandes théories des RI (réalisme et libéralisme), il dépasse leur opposition (complémentarité) et résulte d’une théorie sociale et non politique (élargissement). C’est à partir de ce chapitre que le lecteur comprend que l’étude des théories sur les RI n’implique pas que les théories des RI. C’est une des singularités du livre : explorer ce que les autres domaines peuvent apporter au sujet principal et s’efforcer de ne pas avoir une approche théorique en silos.

La suite de l’ouvrage illustre ce double mouvement à travers de nouvelles théories.

Le premier mouvement est donc celui d’un élargissement du champ. Ainsi, le chapitre suivant expose les approches bureaucratiques et psychologiques. Ces approches sont présentées ouvertement en dehors des RI comme des méthodes appartenant à la théorie des politiques étrangères. En effet, l’auteur considère que puisque ces approches s’intéressent plus à la façon dont les États prennent leurs décisions qu’à expliquer comment le monde fonctionne on ne peut pas les rattacher strictement aux théories des RI. Il reconnaît cependant la porosité entre les deux champs et la nécessité de les mobiliser dans l’étude des phénomènes internationaux.

Le second mouvement est celui d’une promotion de la complémentarité entre les théories à contre-courant de l’approche concurrentielle qui était de rigueur. Ce mouvement prend forme au sein du dernier chapitre consacré aux approches mixtes. En réaction à une inflation de théories, l’idée portée par le constructivisme d’une complémentarité entre les théories plutôt que d’une concurrence conduit à ce type d’approches mixtes (réalisme libéral, École anglaise, constructivisme réaliste et éclectisme analytique). Cet aboutissement d’un dépassement des paradigmes à l’issue de l’ascension théorique que le lecteur vient d’effectuer peut quelque peu le désorienter. C’est pourtant la position que privilégie l’auteur, et qu’il emprunte à Raymond Aron, auquel il réserve une place de choix dans l’ouvrage.

Le lecteur peut aboutir à un double constat à la fin de ce livre. D’abord, toutes les notions lui sont plus claires. L’approche chronologique de théories qui dialoguent entre elles, qui nous semble pourtant la plus pertinente, présente l’écueil d’injecter des notions parfois encore inconnues du lecteur au début du livre. Ces notions ne lui seront expliquées que dans les chapitres suivants. Un bref aperçu des courants et concepts dès le début de l’ouvrage aurait pu en faciliter la lecture. Surtout, les deux mouvements qu’illustre le livre donne au lecteur une vision complète et plurielle des théories des RI. Dès lors que les courants ne se conçoivent plus par opposition, il peut naviguer entre les différentes théories. Le livre n’impose toutefois pas cette approche[3]. Le lecteur peut ainsi librement s’ancrer dans les courants classiques ou s’orienter vers l’apport de chacun des courants pour les adapter à son objet et faire preuve d’éclectisme analytique.

La conclusion rejoint cette démarche de sortir des silos théoriques au profit d’une connaissance plus complète du sujet. Elle enjoint à ne pas se limiter aux théories des RI mais à également explorer l’analyse de la politique étrangère, la sociologie des RI et l’éthique des RI.

Ainsi, par le condensé de connaissances et les pistes d’approfondissement données, le lecteur dispose des clés nécessaires pour appréhender les théories des RI de façon claire et accessible.

Louis Perez, Doctorant Université Panthéon-Assas (Paris II)


[1] Là n’est pas l’objectif du livre qu’il laisse à l’ouvrage français de référence en la matière : BATTISTELLA Dario, CORNUT Jérémie et BARANETS Élie, Théories des relations internationales, vol. 6e éd., Paris, Presses de Sciences Po, 2019, 800 p.

[2] Ainsi les premières éditions du livre de Dario Battistella ne mentionnaient pas les approches féministe, post-positiviste et post-colonialiste.

[3] Bien que celle de son auteur soit claire à cet égard, ce dernier citant par exemple son article promouvant le réalisme libéral : JEANGÈNE VILMER Jean-Baptiste, « Pour un réalisme libéral en relations internationales », Commentaire, 2013, no 141, p. 13‑20.


[1] Jean-Baptiste Jeangène-Vilmer est également l’auteur de deux autres ouvrages au sein de la collection : JEANGÈNE VILMER Jean-Baptiste, La responsabilité de protéger, Paris, Presses Universitaires de France, 2015, 128 p. ; JEANGÈNE VILMER Jean-Baptiste, L’éthique animale, vol. 2e éd., Paris, Presses Universitaires de France, 2015, 128 p.

Laisser un commentaire