The First Way of War. American War Making on the Frontier, 1607-1814

La manière américaine de faire la guerre (« Way of War ») est souvent présentée à la suite des travaux classiques de Russel F. Weigley comme orientée vers la guerre conventionnelle de haute intensité, la recherche de la bataille décisive et une large utilisation du feu rendue possible grâce à la supériorité technologique, le tout s’appuyant sur une culture stratégique fortement influencée par Jomini. Cette présentation classique de la guerre « à l’américaine » permet de justifier un certain nombre de mythes, comme la prétendue inaptitude des forces armées américaines à conduire des opérations nécessitant une empreinte au sol légère ou encore le cliché du soldat américain balourd et entièrement dépendant de ses soutiens. Heureusement que les performances comparées des Etats-Unis et de leurs alliés européens en Irak et en Afghanistan ont permis de ramener à plus de modestie ceux qui regardaient avec un mélange de morgue et d’envie l’Army et les Marines. Selon le Colonel Grenier, pilote de l’USAF et enseignant à l’école de l’air américaine, cela ne serait finalement pas si surprenant, car la véritable manière américaine de faire la guerre serait en fait bien plus proche de la « petite guerre » du XVIII° siècle que de la guerre conventionnelle décrite par Weigley.

grenierL’argument principal de l’ouvrage est que, contrairement à une historiographie et une représentation collective américaine selon laquelle les Etats-Unis privilégieraient les opérations conventionnelles dans lesquelles les victimes non-combattantes sont de regrettables « dommages collatéraux », la manière américaine de faire la guerre n’est pas définie par le mouvement des troupes ou le rôle de la technologie mais au contraire par une tradition de viser les populations civiles afin de briser la volonté et la capacité de l’ennemi de conduire la guerre. Pour illustrer son argument, Grenier étudie les guerres dans les colonies (1607-1689), la révolution américaine, les guerres indiennes et la guerre de 1812 et montre la destruction systématique des populations civiles ennemies et de leurs ressources agricoles.

L’évolution de l’ouvrage est chronologique. Grenier commence par les guerres des colonies (entre les colons et les tribus indiennes), en montrant particulièrement le rôle des unités de Rangers et leur caractère filial, les enfants commandant souvent les unités de leurs pères. Il étudie ensuite en détails les guerres du XVIII° entre Français et Britanniques, montrant le caractère toujours prédominant des unités de rangers et la persistance de tactiques visant les populations.

De manière surprenante, Grenier interrompt alors sa narration historique pour inclure un chapitre sur l’histoire de la petite guerre en Europe. En soi, le chapitre est un excellent résumé du sujet (parfait pour ceux n’ayant pas le temps de lire l’immense ouvrage de Picaud-Monnerat) et apporte une compréhension bienvenue et nécessaire pour illustrer les liens entre petite guerre européenne et conduite des opérations sur le territoire américain, mais ce chapitre devrait être situé au début de l’ouvrage, entre l’introduction et les premiers chapitres de narration historique.

Les chapitres suivants abordent la période de la guerre de révolution en se concentrant principalement sur les guerres à la frontière. L’analyse est particulièrement intéressante, puisque cette période est généralement considérée dans l’historiographie comme celle entamant la professionnalisation des forces armées américaines. Or, Grenier montre bien que même à ces moments, les tactiques irrégulières et le ciblage des civils sont restés au cœur des pratiques militaires, imprégnant donc la manière américaine de faire la guerre à une période formative décisive. Ainsi, après les défaites de Eel River, Kekionga et Wabash, le Général Anthony Wayne, surnommé « le père de l’armée régulière », intègre les unités de rangers dans ses rangs et adopte leurs tactiques de destruction des populations civiles, conduisant à la victoire décisive de Fallen Timbers, qui ouvre la vallée de l’Ohio à la colonisation euro-américaine.

L’ouvrage est particulièrement convaincant, grâce à un style clair et parfaitement référencé (presque chaque note de bas de page est un mini-essai historiographique et donc une précieuse ressource). Grenier a également la bonne idée d’inclure un certain nombre de cartes claires, qui permettent de suivre la progression des opérations qu’il décrit. Au final, le seul regret du lecteur est que Grenier interrompe son ouvrage après la campagne de Jackson contre les Creeks en 1814. Le livre étant plutôt court, l’analyse aurait pu inclure d’autres moments de l’histoire militaire américaine tels que la guerre contre le Mexique ou la guerre de Sécession, qui auraient confirmé et renforcé la thèse d’une « manière américaine de faire la guerre » en ciblant les populations civiles. Au final, l’ouvrage force à remettre en question un certain nombre de clichés sur les opérations américaines (notamment le rôle de la technologie ou l’incapacité à conduire des opérations de guérilla), et il est frappant de constater que, depuis sa première publication en 2005, l’argument central prend un relief particulier au vu de l’évolution des campagnes militaires en Irak et en Afghanistan et de la stratégie anti-terroriste des Etats-Unis.

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