Après que la contre-insurrection (COIN) ait été présentée par ses promoteurs comme la clef du relatif retournement militaire en Irak entre 2006 et 2008, elle a brièvement été à la mode au sein des forces armées américaines. La formule désormais célèbre « clear-hold-build » a intégré la doctrine militaire américaine et celle de leurs alliés, et censément été appliquée en Afghanistan. La COIN est devenue une doctrine bien léchée, fournissant une solution théorique au problème stratégique auquel étaient confrontés les Etats-Unis au Vietnam: comment utiliser efficacement une force expéditionnaire face à un adversaire local déterminé et établir un gouvernement à la fois stable et favorable aux intérêts de Washington? Une littérature académique solide avait établi que les démocraties ne sont pas bien prédisposées à mettre en oeuvre la COIN, mais les apparents succès de 2007 en Irak avaient fait oublier ces leçons. Depuis, la stagnation de la situation en Afghanistan a refait de la COIN une option douteuse. Le livre de M.L.R Smith et David Jones devrait ainsi continuer de marginaliser la COIN parmi les puissances occidentales.
Dans l’introduction, les auteurs retracent l’ascension et la chute récente de la doctrine, et explicitent leur position: « presenting COIN as a reproducible ‘way of war’ is at best ambitious, at worst hubristic » (p.xiii). Une destruction méticuleuse et systématique de la doctrine s’ensuit. Pour les auteurs, la COIN, au mépris de Clausewitz, dégrade la stratégie en un ensemble de tactiques en réduisant la guerre à des règles opérationnelles rigides, brouillant ainsi sont contexte politique plus large, et forcément unique. De plus, les supporters de la doctrine ont sélectionné et interprété de manière douteuse les cas historiques de COIN (Grande-Bretagne en Malaisie par exemple) au mépris des règles scientifiques élémentaires. Les auteurs remarquent aussi qu’une des supposés de la COIN est que son application correcte permettra de faire progresser des sociétés supposément stagnantes. Cet aspect est prétentieux au possible, en particulier au regard de l’organisation transnationale des insurrection djihadistes, et de la dimension religieuse de leurs revendications.
L’organisation du livre en chapitres thématiques reliés entre eux (stratégie, modernisation, globalisation, tradition, escalade) entraîne des redondances, mais chaque chapitre peut être lu de manière indépendante et peut donc facilement s’insérer dans un syllabus pour un cours sur le sujet. Parfois, l’analyse s’enfonce dans des discussions sémantiques et théoriques très (trop) profondes, liées au penchant des auteurs à méticuleusement remettre en question chacun des présupposés et des arguments en faveur de la doctrine. La critique est donc austère, mais très détaillée. Mais le résultat est sans appel: les Etats libéraux dotés d’un système juridique indépendant sont incapables de la brutalité nécessaire au succès d’une campagne de COIN. De ce fait, si les atrocités et les violences commises par les Etats-Unis (captures, tortures, raids de nuit, etc.) ont démontré la volonté de l’administration Bush Jr. de ne pas prendre de gants, ces excès se sont au final révélés inacceptables par la société américaine et son système judiciaire, comme ils l’ont été pour les Britanniques en Irlande du Nord et les Français en Algérie, mettant ainsi une limite à l’escalade de la violence. Au final, la COIN se révèle être « not so much a singular false analogy but a distorting lens that telescopes its focus, narrowing an appreciation of the past as well as overdetermining and oversimplifying the present and the future » (p. 184).
Méthodique, appuyé sur la théorie et l’histoire, critique féroce de la COIN, l’ouvrage est indispensable pour quiconque s’intéresse aux dilemmes stratégiques contemporains.
Olivier Schmitt (Center for War Studies)